Interview Nicolas Brabeck – Retour sur son 5ème Dakar
Originaire d’Autriche, le suisse de cœur Nicolas Brabeck vit dans le canton de Vaud. Il courait cette année pour la 5ème fois le Dakar. Quelques jours après cette 42ème édition, la première en Arabie saoudite, il nous livre le récit de son aventure, sa vision de l’esprit originel de la course et un regard neutre sur le pays qui l’accueillait cette année.
Le Dakar 2020, le premier en Arabie saoudite, est terminé, et les coureurs, dont le Vaudois Nicolas Brabeck-Letmathe (numéro 49), sont rentrés chez eux. L’occasion de s’entretenir avec Nicolas Brabeck, qui nous a donné son avis sur l’expérience qu’il a vécu cette année.
ActuMoto: Bonjour Nicolas, et merci de prendre le temps de répondre à nos questions. D’abord, comment te sens-tu aujourd’hui, quatre jours après l’arrivée (ndlr: interview réalisée le 21 janvier)?
Nicolas Brabeck: Bonjour ActuMoto. Tout va très bien pour moi. Je suis rentré samedi (18 janvier), et ça va, je récupère bien. Bon, je suis un peu ankylosé quand même. Lorsque je fais un effort, je sens que ça tire, et que je suis plus vite fatigué. Mais tout est normal, il me faut en général deux semaines pour me remettre d’un Dakar. J’ai bien tenu le choc !
ActuMoto: Et ta moto, justement, comment a-t-elle encaissé ces 12 jours de course?
Nicolas Brabeck: Plutôt bien. J’ai eu la chance de partir cette année sur une KTM de 2019, qui m’a été prêtée. Par rapport à ma précédente KTM, elle est un peu plus légère, de l’ordre de 6 à 7 kilos. Il y a eu un gros travail effectué sur la partie-cycle, mais c’est surtout le moteur qui est très agressif, avec moins de couple dans les bas régimes, mais plus d’explosivité en haut. C’est un atout pour les parties rapides, mais comme elle est moins lourde, elle est du coup un peu moins stable et bouge pas mal de l’arrière. La différence se fait sentir dans les dunes également, car il faut souvent jouer du sélecteur. Elle demande beaucoup de travail sur la piste, vraiment. Mais elle me convient bien, et c’est selon moi la meilleure moto du plateau. Le fait que beaucoup de monde l’utilise est aussi un atout en cas de réparation imprévue.
ActuMoto: Tu as franchi la ligne d’arrivée le 17 janvier. Quel regard portes-tu sur cette édition 2020?
Nicolas Brabeck: Sur ce 42ème Dakar, il faut bien différencier les deux semaines de course (ndlr: séparées par une journée de repos), car elles étaient assez inégales. La première semaine était incroyable: un superbe tracé, des paysages à couper le souffle, une navigation intéressante. D’ailleurs, la nouveauté de cette édition, à savoir les road-books donnés le matin même, vingt minutes avant le départ, est une innovation très pertinente. On ne dira pas qui, mais on a quand même vu des top-pilotes ne pas réussir à mettre en place leur road-book tout seuls! Blague à part, ça rééquilibre un peu les choses, et ce n’est pas plus mal. Du côté de l’organisation, le challenge a été relevé brillamment, la logistique était parfaite, aucun couac a signaler. A la journée de repos, l’ensemble du bivouac était conquis par ce changement de cap et la décision de partir en Arabie saoudite. Sauf qu’en deuxième semaine, les choses ont changé. Je m’étais économisé pour tenir sur la durée, car physiquement, je connais la dureté de l’épreuve. Mais cette deuxième partie était déconcertante. D’une part car presque trop facile et assez plate, au sens propre comme au figuré. Et d’autre part car très rapide. Trop rapide! Le rythme était élevé, la vitesse démente et la prise de risque terrible. J’ai vraiment eu l’impression que c’était une course à celui qui oserait aller le plus vite possible. Physiquement, il n’y avait pas de grosse difficulté, mais il fallait un mental en acier pour ne rien lâcher.
ActuMoto.ch: Les températures sont restées assez fraîches sur place. En tout cas, loin des standards sud-américains. Une difficulté supplémentaire?
Nicolas Brabeck: Oui, on a vraiment eu froid. Continuellement. Au départ des liaisons, il faisait 0°. Et dans les spéciales, entre 5 et 10 degrés maximum. Le facteur froid est vraiment dur à gérer, tu es gelé la nuit, tu es gelé le jour, c’est une nouvelle composante du Dakar, en effet. Il faut l’intégrer.
ActuMoto: Certains jugent d’ailleurs que le Dakar s’est trop éloigné de son esprit originel, et qu’il n’a plus de légitimité. Toi qui a vécu la course de l’intérieur, qu’en penses-tu?
Nicolas Brabeck: Pour moi, c’est une course qui a su conserver son âme, justement. Je pense que pour 99% des passionnés – de ceux qui, comme moi, ont grandi avec la course – il y a un côté émotionnel qui reste très fort. Après, bien sûr, il y aura toujours des gens pour dire que « c’était mieux avant », pour le Dakar comme pour n’importe quoi d’autre. Mais lorsque tu vis la course de l’intérieur, tu prends conscience qu’elle a su garder son caractère originel, vecteur de grandes émotions.
ActuMoto: En parlant d’émotions, le public a-t-il répondu présent cette année?
Nicolas Brabeck: En première semaine, oui, il y avait pas mal de monde en bord de piste. Bien sûr, cela n’a rien à voir avec la ferveur de Buenos Aires. Mais il faut que la course s’installe. En deuxième semaine, c’était plus le désert, dans tous les sens du terme. Le Dakar doit trouver sa maison, les locaux doivent trouver leurs marques.
ActuMoto: Le choix de l’Arabie saoudite a été très largement critiqué comme porte d’entrée du rallye au Moyen-Orient. Comment y as-tu été accueilli?
Nicolas Brabeck: Très bien. Pour les coureurs, c’était un pays comme les autres, il n’y a eu aucune différence au quotidien. J’ai au contraire découvert un pays en pleine révolution culturelle. Il y a des changements d’une ampleur incroyable qui sont en train de s’opérer ici, avec une volonté d’ouverture très forte. Bien sûr, quand on regarde la situation avec le dogmatisme helvétique, tout est toujours compliqué. Si on me demande si l’Arabie saoudite a le meilleur système politique, clairement, je réponds non. Mais pour les gens d’ici, les choses commencent à bouger sérieusement. Et avec ce rallye, ainsi que les belles images que les gens ont pu voir à la télévision, le tourisme va s’amorcer. Et qui dit tourisme dit échange culturel. Je pense que le pays est définitivement dans la bonne direction pour enfin s’ouvrir au monde.
ActuMoto: Quels sont tes projets? Tu compte repartir en 2021?
Nicolas Brabeck: Aujourd’hui, rien n’est arrêté. Mais à plus de 90%, je pense que non. Je suis arrivé à un stade où je m’interroge. J’ai un bon rythme, plus élevé d’année en année. Mais j’ai aussi 42 ans. Et les deux accidents graves que j’ai vu cette année ont remis pas mal de choses en question: dois-je continuer, en essayant de performer pour grimper au classement général? Mais à quel prix? Ou simplement faire le prochain Dakar avec l’objectif, encore une fois, de « finir »? Dans ce cas, est-ce que la mise en danger en vaut la peine? Je ne suis pas sûr de vouloir prendre le risque de faire le Dakar de trop. J’en ai peut-être fait le tour, en tout cas de cette façon. L’avenir nous le dira…
Il est à noter que Nicolas Brabeck finance lui-même son rallye, mais court pour la bonne cause. Il soutient en effet l’Association Leon, qui promeut des projets éducatifs à travers le monde. N’hésitez à l’aider dans sa démarche en faisant un tour sur le site de l’association.
Propos recueillis par Mathias Deshusses.
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