Le Streetfighter Ducati V4 dans le détail: Jekyll et Hyde
La présentation à distance et en vidéo du Streetfighter Ducati V4 a remplacé la présentation de ce nouveau modèle à la presse internationale et les tests sur route et sur piste qui en faisaient partie. Une situation exceptionnelle rendue inévitable par la pandémie virale liée au Covid-19, ainsi qu’à l’état d’urgence qui en résulte notamment en Italie, où est construite la moto, et en Espagne, où aurait dû avoir lieu le test. Ducati a donc changé ses plans et organisé une présentation en live mercredi 25 mars 2020, à partir de 18h30. Live que vous pourrez voir encore quelque temps sur ce site, notamment.
Cette présentation ne permet bien sûr pas de jauger de l’efficacité de la moto sur route et sur piste de manière personnelle. Mais elle va par contre un peu plus loin que ce que le constructeur italien avait déjà dévoilé l’été dernier, lors de la World Premiere donnée en direct de Rimini pour présenter toutes les nouveautés 2020 de la gamme Ducati.
Il a été dit dans la première présentation (lire notre article) que le nouveau Streetfighter avait une âme double, ou deux personnalités: une moto utilisable sur route, moins inconfortable et plus sage qu’une sportive pur jus, mais capable de se révéler une bête de vitesse quand on le désire, et ce malgré l’absence de carénage et une position de conduite redressée. Ce que le designer français de Ducati Jeremy Faraud a traduit stylistiquement par une allusion visuelle pas du tout cachée au personnage du Joker. Ce vilain présent dans les aventures du super-héros Batman. Un Joker à la fois drôle et méchant. Et dont on est censé retrouver le sourire malsain (à moins que ce ne soit les sourcils) dans le dessin des feux avant du Streefighter. On pourrait aussi parler de Dr Jekyll et de Mr Hyde.
L’ensemble du design fait référence à ce que l’on imagine sur une naked sportive, soit une sportive sans carénage, avec des parties techniques bien mises en valeur, comme le moteur, bien visible, et le cadre, aussi exposé. Mais elles sont intégrées par des traits reliant certaines surfaces, à savoir le réservoir d’essence, le petit couvre-phare avant, les écopes de radiateur, qui ressemblent à des épaules, la petite selle passager, qui reprend trait pour trait les formes de celle de la sportive, et un échappement double bien intégré en position basse et courte. L’utilisation du contraste entre le rouge, le noir et l’argenté, voire le bronze, permet de souligner tous ces traits.
Mais ce qui exprime le mieux la dualité de cette moto, ce sont les caractéristiques techniques qui font qu’elle est censée être aussi efficace en usage vraiment sportif, à savoir sur un circuit de vitesse, que dans la vie quotidienne, pour rouler en ville ou sur n’importe quelle route.
Les chiffre clés de cette sportive sans carénage et à la position de conduite plus confortable sont toujours les mêmes, et il sont impressionnants: un moteur V4 de 1103 cm3, délivrant 208 chevaux de puissance maximale, pour 178 kg à sec, dans la variante dite Streetfighter V4 S. Celle-ci se distingue du Streetfighter V4 par l’adoption de roues en aluminium forgé, plus légères, et de suspensions Öhlins (y compris l’amortisseur de direction) semi-actives électroniques de dernière génération (au lieu d’éléments des marques Showa et Sachs). Tout le reste (sauf bien sûr le prix) est identique entre ces deux versions.
La puissance de pointe est atteinte sur cette machine d’exception à 12750 tr/min. On apprend au passage, grâce aux explications du pilote de test Ducati Alessandro Valia, que le moteur, dérivé du MotoGP et utilisé aussi dans une configuration légèrement différente sur la Ducati Panigale V4 (lire notre essai sur circuit), peut monter dans les 5 premiers rapports jusqu’à un seuil remarquable de 14500 tr/min, qui peuvent devenir 15000 tr/min en sixième!
Le couple maxi, 123 Nm, est atteint lui à 11500 tr/min. Mais le Streetfighter Ducati V4 n’est pas seulement fait pour la piste et pour les régimes de rotation du moteur élevés. Il vous met à disposition déjà le 70% de ce couple maximum à partir de seulement 4000 tr/min, et le 90% dès 9000 tr/min. Ajoutez à cela une démultiplication finale plus courte, et vous aurez des accélérations vraiment respectables aussi dans les régimes bas à intermédiaires.
Ce V4, baptisé Desmosedici Stradale, adopte un ordre d’allumage appelé dans le jargon Twin Pulse, qui fait qu’on devrait avoir l’impression de deux V2 jumelés. En théorie, cela donne un excellente traction, un retour d’information optimal entre la commande d’accélération et le pneu arrière.
Valia explique encore que la gestion électronique de l’accélération et du moteur a permis de définir des cartes de puissance et de couple finement adaptées selon le régime de rotation, l’ouverture de l’accélérateur manuel et les variations de ces deux paramètres. Ainsi, par exemple, à ouverture constante de la poignée d’accélération, l’augmentation de couple va se faire moins brutale au fur et à mesure que le régime moteur augmente. Ca ne vous dit rien? ok, c’est un peu technique, mais cela permet d’avoir une traction idéale dans toutes les situations, et surtout d’éviter absolument ce célèbre effet on-off que l’on déplore parfois sur certains moteurs sportifs – ce sentiment de subir un à coup quand on rouvre ou qu’on ferme brusquement les gaz.
Les modes de pilotage électroniques inclus sur cette machine, soit Street, Sport et Race, sont conçus pour offrir des comportements différents, avec à chaque fois la même puissance maximale, mais des réglages différents de la réponse à la commande d’accélération et de l’intervention des aides au pilotage. Ces aides sont semblables à celles qui sont livrées avec la sportive Ducati Panigale V4 de dernière génération. On a ainsi un contrôle de traction (DTC EVO 2), ou anti-patinage à l’accélération, un ABS (Cornering EVO), un contrôle de wheelie (DWC EVO), de frein moteur (EBC) et un contrôle de dérapage latéral (DSC) – par exemple au freinage en entrée de virage. Le « D » signifie ici bien sûr Ducati, les autres lettres étant des abbréviations en anglais (par exemple Ducati Traction Control), et EVO veut dire que la fonction a bénéficié d’une mise à jour (voire de deux lorsque c’est EVO 2).
Ah, et puis il y a aussi un « Power Launch », paramétrable comme les autres aides, qui permet de bien réussir ses départs arrêtés.
Ce qui est intéressant, c’est que, comme pour la Panigale V4, ces aides sont toutes paramétrables et n’empêchent pas le pilote de… piloter. Si l’on est vraiment sûr de son fait et qu’on a les compétences nécessaires, on peut les réduire au minimum. On ne peut pas désactiver l’ABS. Mais on peut l’activer seulement sur la roue avant, et désactiver la fonction Cornering, qui prend en compte l’angle d’inclinaison de la moto. Ca, c’est pour le pilotage sur circuit, dans des mains vraiment expertes. Et c’est bien d’avoir le choix. Dans la même logique, selon le mode de pilotage et les réglages de ces aides choisis, on peut très bien réaliser des wheelies, des stoppies, et des travers. Avec un plus ou moins grand filet de sécurité.
Le réglage des aides au pilotage va jusqu’au comportement des suspensions, sur le Streetfighter Ducati V4 S.
Si l’on veut rouler avec plus de sécurité électronique activée, dans un environnement plus routier, sur un bitume plus imprévisible, c’est bien sûr possible. Les freins, eux, utilisent des étriers Brembo Stylema, le top de gamme de l’équipementier spécialisé, une référence pour la puissance, le dosage et la facilité d’utilisation. Et ce sont les mêmes que ceux de la sportive.
L’électronique n’est en fait de loin pas seule à permettre de tirer le maximum du Streetfighter Ducati V4 dans un usage sportif aussi bien que quotidien. Par rapport à la sportive Panigale, l’absence de carénage n’a pas eu pour conséquence un empattement exagérément allongé, ni un angle de chasse plus grand, pour avoir plus de stabilité à haute vitesse. Au contraire, l’angle de chasse et la traînée sont identiques (24,5 degrés et 100 mm) et la distance entre les deux axes de roues (1488 mm) est proche de celui de la sportive. Le Streetfighter, avec son guidon large et haut, est censé être plus maniable que sa cousine carénée. On se rappelle que cette dernière n’est déjà pas un paquebot, et que l’arbre moteur (le vilebrequin) du V4 tournant dans le sens contraire des roues et réduisant l’effet gyroscopiques produits par celles-ci confère à la Panigale une belle réactivité dans les changements de direction.
Pour obtenir la stabilité recherchée, Ducati a notamment fait appel à l’aérodynamique et au design du cadre structurel de la moto. L’aérodynamique a mené à l’implantation de deux paires d’ailettes sur chaque flanc, assez proche de la roue avant. Cette moto est donc une sorte de biplan! Ces appendices génèrent une force vers le bas, qui augmente avec la vitesse. Selon Ducati, elle est de 2 kg à 50 km/h, et de 28 kg à 270 km/h. Cet effet a été amplement étudié et utilisé par la marque italienne en course, notamment en MotoGP, et plus récemment en Superbike. On trouve aussi des petites ailes sur la Panigale V4 R, la version homologuée pour la compétition, et sur la version la plus récente de la Panigale V4 (et V4 S), mais ces motos sont des mono-plans, pas des biplans…
On note aussi que des extracteurs d’air ont été placés sur le Streetfighter de chaque côté à l’avant, reliés aux épaules de la moto, qui font office également de support pour les ailes. Ces extracteurs empêchent la surchauffe du moteur quand on le sollicité fortement et améliorent son rendement. Il y a même, comme sur la Panigale V4, une fonction qui désactive les cylindres postérieurs en ville quand la température de l’eau devient trop importante…
Le cadre, lui, utilise le moteur comme structure porteuse. Comme on l’a déjà vu sur d’autres Ducati.
Les pneus, des Pirelli Diablo Corsa II, sont dotés par leur manufacturier, pour le pneumatique arrière, d’un mélange particulier à cette moto qui assure un comportement sûr sur route, où les températures sont plus basses que celles constatées lors d’un usage sur circuit.
Enfin lors du développement de ce nouveau modèle, une attention particulière a été portée au confort. Ca paraît un peu étonnant quand on voit la moto, mais Ducati donne des indications qui vont dans ce sens: l’épaisseur de la selle du pilote est de bien 60 mm (hauteur totale de selle: 845 mm), nettement plus que pour la Panigale. Selon les paroles du CEO de Ducati Claudio Domenicali, les premiers prototypes étaient trop durs. Et les repose-pieds, tant pilote que passager, sont placés plus bas que sur la sportive – sans que cela péjore de manière significative la capacité à prendre de l’angle sans frotter, au vu des vidéos montrant Alessandro Valia dans ses oeuvres sur cette moto. Il n’y a bien sûr pas beaucoup de protection contre le vent, même pas sous la forme d’un pare-brise dans les accessoires. Mais on peut par contre faire installer des poignées chauffantes. Pas trace cependant d’une prise 12 V ou USB. Ni d’ailleurs d’une jauge d’essence pour savoir où en en est avec le réservoir de 16 litres. La praticité a ses limites quand on est agrippé à son guidon en pleine accélération…
Le marché suisse a d’ores et déjà réagi très positivement, puisque, selon Ducati Suisse, il a fallu demander plus d’exemplaires pour 2020 par rapport à ce qui était prévu, et que même ainsi, une bonne partie de la production a déjà été vendue ou réservée. Le Streetfighter V4 est déjà disponible en Suisse, au prix de 20995 francs pour la version standard, et de 23995 frs pour la version S. Mais nous vous rappelons que tant que les mesures de restrictions des déplacements et des activités commerciales sont en vigueur en Suisse pour restreindre la propagation du Covid-19, cette moto n’est disponible en Suisse qu’en quantités très limitées, car seuls quelques exemplaires ont pu être livrés. Et puis pour l’instant l’usine Ducati ne tourne pas, pour les mêmes raisons. Il faudra faire preuve de patience…
Bonjour,
La machine à ma connaissance est Euro 4 et non Euro 5 comme indiqué dans l’article.
Impact important puisque les moteurs thermiques Euro 4 ne pourront plus circuler en France par exemple dans Paris à partir de 2030.
Oui, erreur corrigée. Mais cet article s’adresse avant tout au marché suisse, où ce problème ne se pose (pour l’instant) pas (encore). Merci de votre vigilance.
Jérôme Ducret, rédacteur responsable
A partir du 01 Janvier 2021, aussi pour la Suisse