Essai Harley-Davidson Livewire – Aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire
Soyons honnêtes. Cette phrase mythique, que l’on doit à notre estimé conseiller fédéral Alain Berset, mériterait d’être gravée sur nos pièces de monnaie, tant elle symbolise avec justesse la philosophie helvétique. Mais il semble qu’elle soit aussi parfaitement adaptée à la première moto électrique développée par un constructeur généraliste, l’américain Harley-Davidson.
Aussi vite que possible, car la Livewire est capable d’envolées totalement démentes, que l’on pensait réservées à des moteurs thermiques indécents. Aussi lentement que nécessaire, car il conviendra de l’économiser, pour préserver ses batteries et, de fait, son autonomie. Ou quand la frustration se mêle à l’exaltation.
But, first…
Mettons tout de suite les choses au point. Je ne suis pas là pour vanter les mérites de la moto électrique, ni pour prétendre que cette dernière puisse remplacer un jour nos bonnes vieilles machines thermiques. Roulant moi-même au quotidien sur un V-Twin de quelques 1670 centimètres-cubes, je suis le premier à exiger de ma machine qu’elle me fournisse un maximum de sensations. Mais la réalité est que les motos électriques se développent à grande vitesse, et qu’elles font désormais partie du monde actuel. Chaque année voit ainsi son lot d’améliorations technologiques, d’augmentation de l’autonomie et de multiplication des points de recharge. Mais dans l’esprit des motards, la définition d’une moto se réfère à des valeurs bien précises: deux roues, un guidon, et bien évidemment un moteur. Thermique, vibrant, bruyant, et que l’on sent vivre, au sens propre comme figuré. Car la moto n’est pas un simple moyen de déplacement. C’est aussi, et avant tout, un objet de passion. Rouler à moto procure un savant mélange de liberté, de sensations et d’émotions. Alors, peut-on prendre du plaisir sur une moto silencieuse et dénuée de boîte de vitesse?
Une moto qui suscite un intérêt… masqué
Ce qui est drôle avec la Livewire, c’est que personne n’en veut … mais que tout le monde veut l’essayer. « Comme ça, juste pour voir… ». Et généralement avec une visière fumée, pour ne pas être reconnu. Un peu comme la Niken et ses trois roues (testée l’été dernier), qui possédait aussi cet aspect novateur et intrigant, tout en étant décriée publiquement par un microcosme motocycliste qui avançait masqué. Le motard suisse est ainsi: curieux, mais discret. Avec raison, tant l’essai d’une Livewire peut s’avérer dangereux. Car l’électrique, c’est terriblement addictif. Retour sur un essai pas comme les autres, qui aura réservé son lot de surprises !
Back to origins
Au commencement, il y une info. A la limite du burlesque. Harley-Davidson, marque ancrée dans un conservationnisme indéboulonnable, est en train de concevoir une moto électrique. Non? Si. Le constructeur étasunien, dont la richesse historique n’a d’égal que le poids de ses machines, souhaite assurer sa pérennité et voit loin. Il veut surtout être le premier constructeur généraliste à produire en série une moto électrique, pour marquer définitivement l’Histoire de la moto. Mais l’exercice est périlleux. Et la marque – qui compte aujourd’hui 117 années d’existence – aura fort à faire pour convaincre ses plus fidèles apôtres de passer de l’essence aux électrons.
Après une première prise en main du côté de Portland en juillet 2019, puis une deuxième en février 2020, en Andalousie, voici venu le temps de l’essayer sur les routes de Suisse romande, afin de juger de sa pertinence dans notre pays. Car il y a toujours une certaine différence entre un test organisé pour la presse, dans des conditions optimales, et la réalité d’une utilisation quotidienne. Conçue aux Etats-Unis, elle adopte bien évidemment les normes de son pays d’origine et est optimisée pour un type de charges bien précis. Un choix qui provoquera quelques sueurs froides aux abords du Léman. Mais commençons par le commencement, et la prise en main de la moto à Genève, épicentre de ce test survolté.
Récupération des clés
Enfin, plutôt du transpondeur. Machine high-tech par définition, la Livewire n’a pas de contacteur, mais un système Keyless, pour démarrer la moto sans contact. Bon, en vrai, il y a quand même une clé… pour verrouiller le Neiman situé sur le côté de la colonne de direction. A l’ancienne. Technologique, mais pas trop tout de même. C’est chez Harley-Davidson Geneva que je récupère la moto. L’occasion d’apprendre qu’ils ne sont pas (encore) équipé d’un chargeur rapide, et qu’aucune Livewire ne sillonne à l’heure actuelle le canton du bout du lac. L’équipe de la concession genevoise n’a donc que peu de retours sur cette moto si particulière, ainsi que sur son utilisation et sur les possibilités de recharge. Mon test va donc, d’une certaine manière, défricher une terre inconnue. Peu rassurant et exaltant en même temps.
Une HD à part
La Livewire est une moto à part dans la gamme Harley-Davidson. La définition même d’un électron libre, tant elle ne ressemble à rien de connu en terre américaine. Pour cette moto qui se veut innovante, on sent que les designers ont voulu trancher dans le vif, loin des codes esthétiques chers à la marque. Exit l’acier ou les chromes. Ici, le plastique règne en maître pour les quelques pièces d’habillage, qu’elles soient colorées ou non. Tant pis pour le côté bas de gamme. Et tant mieux pour le poids, « contenu » aux environs des 250 kilos en ordre de marche (on n’ose plus employer le terme «tous pleins faits»). La selle semble être suspendue dans le vide, laissant une partie arrière visuellement dépouillée qui tranche avec l’aspect massif de la moto. Les batteries prennent de la place, et sont logées dans un cadre qui semble plonger vers l’avant, donnant un petit aspect ramassé à la Livewire, comme un pit-bull prêt à bondir. De mon avis purement subjectif, la Livewire se révèle plus esthétique en vrai qu’en photo. Elle est même assez impressionnante, avec son gros phare, sa fourche inversée et ses étriers de freins radiaux signés Brembo.
La ligne est globalement fluide, mais le décalage visuel entre la partie avant, très travaillée, et la partie arrière de la moto, pour le moins épurée, perturbe la lecture de l’ensemble. Comme si le designer avait arrêté son travail en cours de route, et que la moto avait été mise en production avant qu’il en ait fini le dessin.
Quand on y regarde de plus près, quelques détails égratignent la rétine. A commencer par la selle, dont le revêtement semble avoir été agrafé à la va-vite. Basculant sur l’arrière à l’aide d’un frêle mécanisme, elle renferme un petit compartiment (en plastique toujours) permettant de loger le chargeur domestique, pour se raccorder au réseau en tout lieu. La roue arrière est étrangement recouverte d’un large garde-boue en plastique, dans le plus pur style FXDR. Quant aux clignotants arrières, venant se placer verticalement de part et d’autre du support de plaque, leur style futuriste en étonnera plus d’un. Vous l’aurez compris, l’arrière de la moto semble peu abouti, et les personnes que vous doublerez se demanderont quel drôle d’engin a bien pu les dépasser.
C’est d’autant plus dommage qu’en dynamique, la Livewire impressionne, comme on le verra par la suite.
Mise sous tension
Au moment d’enfourcher la moto, les repères ne sont pas – encore – bousculés. La position de conduite, le torse un peu basculé sur l’avant, n’a rien à voir avec ce que l’on connait de l’univers Harley-Davidson, mais est identique à celle offerte par un roadster de grosse cylindrée. Sur l’écran TFT de 10,9 centimètres de diamètre (tactile et assez réactif) qui sert de tableau de bord, plusieurs modes de conduite peuvent être sélectionnés. Il y a en 7 en tout: 4 préprogrammés (Sport, Route, Pluie et Eco), plus 3 entièrement paramétrables, permettant d’agir sur les niveaux de puissance, d’accélération et de régénération (ou récupération d’énergie, et donc de frein moteur).
Ainsi que… sur le contrôle de traction! Inédit, sur une Harley (le système d’antipatinage RDRS vient juste d’arriver chez le constructeur américain, et ne concerne pour l’instant que la gamme «Touring»). Mais il va y avoir du couple à gérer. Et du gros. Bon. On roule ? Une pression sur le démarreur, et… rien.
Un silence déroutant
Silence. Pas un bruit. Seuls les deux voyants latéraux, passés de l’orange au vert sur le tableau de bord, indiquent que la moto est «démarrée». Prudence pourtant, car à partir de cet instant, le moindre mouvement un peu sec de la poignée droite vous enverra immanquablement participer à une version urbaine de la montée impossible. Mode «Route» sélectionné, je m’engage alors sur la voie publique avec prudence. Très douce, la connexion avec la poignée des «Watts» est progressive et permet d’évoluer sans à-coups sur un filet de gaz. Enfin un filet de… Bref. Le silence de la moto est bluffant. Il y a juste un petit «ghziii» caractéristique, dont la stridence augmente avec la vitesse, et qui disparaît totalement, couvert par les bruits aérodynamiques, aux alentours des 80 km/h.
L’ambiance sonore est d’ailleurs étonnante, puisqu’on redécouvre les petits bruits de fonctionnement d’une moto, habituellement masqués par ceux du moteur. Frottements des plaquettes sur les disques, bruits de roulements et de courroie rythment vos évolutions à basse vitesse. Maniable, avec un centre de gravité placé bas (le moteur étant sous les batteries), elle excelle en ville, se montrant idéale pour se faufiler dans les embouteillages et s’extirper avec force du trafic une fois le feu au vert. On notera d’ailleurs que la moto ne chauffe pas. Mieux, l’avantage du moteur électrique, dans ces conditions, est clairement sa consommation. En kiloWatts s’entend. Car lorsqu’elle est à l’arrêt, la Livewire ne consomme bien évidemment aucune énergie, au bénéficie d’un allongement de l’autonomie. Dans ces conditions urbaines, dépasser les 200 kilomètres est largement envisageable, ce qui laisse un large champ des possibles pour une utilisation au quotidien.
Il convient cependant de rester concentré dans la circulation. Car en l’absence de boite de vitesse, le réflexe d’empoigner le levier d’embrayage pour faire tomber deux rapports enfin d’user du frein du moteur est proscrit. Sueurs froides promises au premier freinage d’urgence, avec votre main gauche cherchant désespérément un levier salvateur n’existant que dans vos réflexes, conditionnés par des années de pratique motocycliste. A bord de la Livewire, il faut d’une certaine manière ranger son humilité dans un tiroir et réapprendre à conduire… voire à piloter! La preuve lorsque la route se dégage, et que l’on peut – enfin – visser la poignée à fond.
Une accélération dantesque
Vous pensez en connaitre un rayon sur l’accélération des motos? Oubliez tout. La Livewire va bousculer vos repères. Prenez votre cerveau, appuyez sur le bouton «Reset» (ou mieux, débranchez-le, carrément), et cramponnez-vous au guidon !
La force d’un moteur électrique, c’est son instantanéité. Pas de régime-moteur – par définition – et une puissance qui déboule là-tout-de-suite-maintenant. Si les 105 ch n’impressionnent pas sur le papier, surtout pour une moto de 251 kg en ordre de marche (dont 95 kg rien que pour les batteries), la disponibilité de la puissance (et du couple, établi à 116 Nm) propre au moteur Revelation procure des accélérations tout bonnement époustouflantes. Avec la Yamaha MT-01 (pour connaisseurs seulement) qui me sert au quotidien, je pense être habitué aux gros moteurs débordant de couple. Et je peux vous garantir que la Livewire m’a donné un sacré coup de pied au c… Le 0 à 100 km/h est théoriquement expédié en 3 petites secondes. Et au vu de la force d’accélération dont est capable cette moto, je crois les ingénieurs de Milwaukee sur parole, trop concentré sur l’environnement qui défile de manière exponentielle pour regarder un quelconque chronomètre.
Les sensations procurées par la Livewire sont impressionnantes, et incroyablement grisantes. Imaginez-vous sur votre route de col préférée. Dans un silence absolu. Sans vitesses à passer. Concentré uniquement à soigner vos trajectoires. L’instant est magique. Est-ce encore de la moto ? Bien sur que oui. Mais cette sensation de glisser ainsi, de virage en virage, dans un silence assourdissant, est une expérience unique qui procure des sensations jusque-là inconnues.
Partie-cycle : du jamais-vu
Ce qui est aussi inconnu sur une Harley-Davidson, c’est une telle force de freinage. Les étriers Brembo monoblocs à fixation radiale freinent fort. Très fort. Puissance, mordant et progressivité sont au rendez-vous, accompagnés par le crissement des plaquettes à l’agonie.
La partie-cycle est elle aussi inédite. Stable et incisive, la Livewire est un rail, et son train avant rivé au sol poussera les plus sportifs d’entre vous à tenter de poser le genou. Oui, je parle toujours d’une Harley. Qui possède réellement un châssis digne de sa motorisation. La régénération, ajustable à l’envi, permet de se fabriquer un frein moteur à son goût, que l’on soit habitué au côté lisse d’un 4 cylindres ou à celui, plus rugueux, d’un gros mono. Et cerise sur le gâteau, elle permettra également – poussée au maximum – de récupérer une énergie précieuse lors des phases de décélération. Pour vous donner une idée, j’ai perdu 10% de capacité en gravissant le col du Marchairuz… alors que j’ai regagné 1% à la descente. Il n’y a pas de petit profit en matière d’électricité.
Dans ces conditions routières, où la vitesse oscille entre 50 et «un peu plus» de 80 km/h, l’autonomie de la moto se situe entre 130 et 180 km. En sachant qu’en cas de besoin, le passage au mode Eco et le retour à un rythme plus tranquille économisera vos batteries. Attention à l’autoroute et à ses vitesses élevées, gourmandes en électricité: un Genève – Nyon par l’autoroute A1 amputera par exemple votre réserve d’électrons d’un bon tiers. Il faudra alors prévoir un point de recharge sur votre itinéraire, ce qui est loin d’être évident. Mais cet arrêt aura un gros avantage: celui de vous permettre de soulager votre séant, tant l’inconfort de la selle est prononcé.
Welcome to the jungle
La question de la recharge est le point sensible de cet essai. Prenons les choses le plus simplement possible. Je ne suis pas un ingénieur. Juste un motard. Il est nécessaire que les procédures pour recharger la moto soient facilement accessibles. Sans avoir besoin d’être un geek. Sauf que. L’utilisateur que je suis se retrouve confronté à une véritable jungle, composée de plusieurs types de prises, avec des niveaux de puissances différents et un système de tarification aussi varié et opaque que ceux de nos opérateurs téléphoniques nationaux. Imaginez que vous êtes chez un ami et que votre smartphone est à plat. Pas de soucis, une prise USB et c’est réglé. Avec une moto électrique, cette simplicité n’est pas de mise. Jamais. Et la Livewire complique encore les choses, avec une approche bien différente de la concurrence, laquelle se révèle peu adaptée à notre si beau pays.
Au moment de prendre des renseignements, on se heurte au premier problème. L’électrique en Suisse semble conçu uniquement pour l’automobile. Sur le site de Move, par exemple, il faudra impérativement sélectionner son véhicule – à 4 roues bien sûr – avant de pouvoir choisir un abonnement. La page dédiée du TCS (e-Charge) est d’ailleurs classée dans la rubrique «Autour de la voiture», et ne propose aucune solution spécifique pour la moto. Si l’on peut trouver facilement des cartes proposant de vérifier les stations disponibles, peu permettent de les trier par type de prise, ou de véhicule, de façon précise.
Les tarifs, eux aussi, varient fortement. Chaque opérateur (Move, EV Pass ou Green Motion par exemple) propose ses propres formules, avec ou sans taxe mensuelle, pour des tarifs extensibles. Cela peut aller d’un unique prix par kiloWatt débité à une facturation par minute d’utilisation de la borne, en passant par une taxe de branchement. Ou un savant mélange des trois à la fois. Pour bien faire, il faudra bien entendu être au préalable inscrit chez chacun des opérateurs pour espérer avoir une idée du coût, avant chaque recharge. Et si l’idée vous prend d’aller vous brancher sur une borne qui ne fait pas partie de votre réseau principal, vous serez débité selon un tarif «Roaming», souvent à la minute, dont le prix peut se rapprocher dangereusement de celui… d’un plein d’essence !
A noter que dans de nombreux parkings publics, des bornes gratuites sont disponibles. Elles ne délivrent cependant que le minimum, pour vous inciter à rester le plus longtemps possible. Car si la recharge est gratuite, le parking est lui, bel et bien payant. Y compris pour une moto.
Une prise de Type 3 sinon rien
La Livewire possède donc des batteries d’une capacité totale de 15,5 kWh, offrant une autonomie (vérifiée) pouvant dépasser les 200 km en ville, et osciller entre 130 et 180 km en usage routier «raisonnable». Sur le terrain, les différentes bornes proposent des puissances de recharge variables selon leur type. Celles prises en compte par la Harley-Davidson sont de Type 1 (3,7 kW) et de Type 3 (50 kW).
Sur une prise standard (Type 1), c’est le chargeur interne de la moto, limité à 1,4 kWh, qui gère la puissance de charge. Les accumulateurs de la Livewire pouvant stocker jusqu’à 15,5 kW, le calcul est simple : il faudra entre 10 et 11h de charge avant de pouvoir reprendre la route, suivant le niveau de batterie à votre arrivée. Parfait si vous utilisez votre moto pour commuter au quotidien. Moins si vous comptiez ressortir au restaurant le soir même en amoureux.
Sur une prise de Type 3 (plus communément appelée Combo CSS), c’est le chargeur de la borne qui prendra le relais, délivrant alors de quoi recharger la moto la moto en 60 minutes (Harley-Davidson annonce 80% de la charge en 40 minutes, et 100% en une heure). En théorie, l’idéal pour recharger le temps d’une pause-café entre copains, ou pendant le repas de midi.
Il existe une recharge intermédiaire, de Type 2 (puissance de 22 kW), mais Harley-Davidson a délibérément fait le choix de l’exclure, pour privilégier les prises de Type 3. Une vision stratégique pour la firme américaine, qui parie sur un fort développement des prises de Type 3 sur les 10 prochaines années. A l’image des Etats-Unis, où une autoroute permet de traverser le pays du nord au sud avec des bornes disposées tous les 40 kilomètres. Or en Europe, ce sont les prises de Type 2 qui sont les plus répandues à l’heure actuelle. Sur la Livewire, la prise de Type 2 sera considérée comme une Type 1, et traitée comme telle. Soit une quinzaine de kilomètres gagnés par heure de charge. Comme sur une simple prise domestique, en somme.
L’objectif de ce test est donc de voir comment il est possible de circuler en Suisse romande, avec une Harley électrique. Il sera centré sur le réseau EV Pass, pour lequel Harley-Davidson Switzerland m’a fourni une carte prépayée. Je suis légitimement parti du principe que cela devait être, pour eux, le réseau le plus adapté à leur machine.
Retour à la réalité
En pratique, voici ce que cela donne. Avec une charge à domicile, sur une prise domestique, le «plein» revient à un peu plus de 3 francs 30 (base de 21,39 centimes par kiloWatt à Genève – janvier 2020). Sur une prise de Type 3 du réseau EV Pass, il vous en coûtera au maximum (formule sans abonnement) 9 francs 25 (1 franc 50 de prise en charge, plus 50 centimes par kiloWatt) et au minimum… rien. Si vous possédez toutefois l’abonnement à 120 francs par mois, qui permet d‘effectuer des recharges illimitées sur tout le territoire helvétique. Entre ces extrêmes, plusieurs formules et plusieurs tarifs permettent de naviguer selon vos besoins.
En cas d’urgence, il sera toujours possible de recharger sur une borne hors de votre réseau (pour autant que vous ayiez un abonnement). Mais les tarifs appliqués sont dissuasifs. Taxé à la minute de connexion, le «plein» vous sera facturé à 23 francs et 40 centimes (39 centimes/minute), pour une seule heure de charge. Un coût loin d’être anodin, et qui se rapproche dangereusement d’un plein d’essence pour un muscle bike comme la Rocket 3. Une solution qui devrait rester exceptionnelle, mais qui ne l’est malheureusement pas tant que cela. Des stations de types 3, il n’en existe pas beaucoup en Suisse romande. À Genève, il n’y en a que deux pour le réseau qui nous concerne. Appartenant respectivement à une banque et une grande entreprise horlogère de la place. Et réservées aux clients avec RDV ou aux employés. La plus proche, en libre accès, se situe entre Nyon et St-Cergue, derrière la station Avia de Signy (canton de Vaud). Une borne que j’ai utilisée (ou plutôt tenté d’utiliser) à deux reprises. Et le constat est loin d’être en faveur de l’électrique, malheureusement.
La virée du dimanche
Lors d’une virée qui s’avérera présomptueuse (rallier la Vallée de Joux depuis Genève pour une session photo nécessitant quelques allers-retours, puis recharger au Pont le temps d’un repas entre amis, avant de rentrer en longeant le Jura), je pourrai constater, avec un certain désarroi, que la liberté de mouvement avec la Livewire est de facto restreinte. A ce stade, je m’étais nonchalamment fié à la puissance des bornes de recharge, pensant qu’une borne de 22 kW me permettrait de recharger mes 15,5 de batteries assez facilement.
Mais arrivé au bord du Lac de Joux, avec environ 39% restants, j’ai rapidement déchanté. Premièrement, les deux seules places étaient déjà occupées (elles étaient indiquées libres au départ, et la réservation ne peut s’effectuer que via l’application smartphone, au maximum une heure avant). Et deuxièmement, après avoir poussé jusqu’aux Charbonnières (le village d’à côté) pour y trouver une borne disponible, j’ai pu constater, non sans dépit, que la charge complète serait effective… 7h32 plus tard ! Renseignement pris (on est toujours plus intelligent après), il n’y a aucune borne de Type 3 autour dans la Vallée de Joux, et j’étais donc en train de recharger la moto sur l’équivalent d’une prise domestique. Deux heures plus tard, c’est une Livewire offrant 55% de batterie qui aura la mission de me ramener à Genève, avec en outre le Jura à passer. Modération de l’allure obligatoire.
Une petite halte à Signy, sur le retour, me donnera – encore – quelques sueurs froides. Alors qu’elle avait parfaitement fonctionné la semaine précédente (bien que peu rapide, offrant alors 30% d’énergie en 30 minutes de charge, soit 1h40 pour une recharge complète au lieu des 60 minutes annoncées), il n’a pas été possible d’y connecter la moto. Une Tesla était pourtant branchée dessus à mon arrivée et la société EV Pass, contactée par la suite, m’a assuré que la borne fonctionnait convenablement. Bon, il va falloir faire Signy – Genève avec 36% de batterie restante, alors que le même trajet, le matin même, m’en avait fait perdre 30. L’occasion de tester de mode ECO (et de rentrer par l’autoroute, calé à 100km/h avec un moteur qui a désormais la vivacité d’un escargot). Mission accomplie avec une dizaine de pourcents restants à l’arrivée… et un peu de transpiration dans le bas du dos !
Alors bien sûr, une moto électrique n’est pas (encore) en mesure de supporter de grosses virées, ou des étapes de 500 bornes avalées d’une traite pour un road-trip européen. Mais avec un réseau développé, il y aurait moyen de se faire plaisir. Une pause-café en milieu de matinée, un bon repas à midi, une bière (sans alcool bien sûr) dans l’après-midi, et 150 km de route entre chaque arrêt. Voilà qui semblerait largement raisonnable comme journée de moto. Et suffirait à bon nombre d’entre nous pour sauter le pas. Mais force est de reconnaître que le maillage du territoire helvétique n’est pas encore suffisant, à l’heure actuelle, pour envisager ce type de journée de manière sereine. Un handicap de poids, certainement aussi rebutant que le prix de la moto.
Tarif stratosphérique
Sur ce plan, aucun doute possible, la Livewire est une Harley-Davidson. Le prix demandé, de quelques 36500 francs (hors option couleur à 300 francs de plus), fait tousser. Bon, cela reste au niveau du haut de gamme «Touring» de la marque (et c’est toujours moins cher qu’une CVO). Mais sur le segment des électriques, la Harley se positionne en tête de classement côté tarif. Pour exemple, une Zero Motorcycle SR/S se négocie entre 22000 et 25000 francs selon la version choisie, et même l’Energica Eva ne dépasse pas les 29000 francs, malgré la pléthore de belles pièces qui l’équipent, alu et carbone en tête. Clairement, Harley-Davidson a choisi une stratégie tarifaire classant la Livewire dans la catégorie «Premium», la destinant à quelques passionnés convaincus… et fortunés.
Car le problème d’une moto électrique est qu’il faut – au minimum – une prise domestique accessible chez soi. Accessible, et surtout privée. Harley-Davidson n’ayant pas prévu de «sécuriser» la prise destinée à la charge, n’importe quel goujat jaloux et malintentionné sera à même de vous débrancher votre moto durant la nuit. On oublie, donc, de laisser pendre une rallonge depuis son balcon jusqu’au trottoir, sous peine de prendre le risque de se retrouver à sec le matin, au moment de partir bosser. Le mieux étant, bien sûr, d’avoir un garage fermé, afin de la stationner entre la CVO et la Tesla.
Rouler vert, vraiment ?
Reste la question, ô combien sensible, de l’écologie. Rouler électrique, est-ce rouler «propre»? C’est loin d’être évident, au vu du lithium à extraire pour la production des batteries, ainsi que de la problématique de leur recyclage en fin de vie. Sur ce point, je n’ai malheureusement pas pu avoir d’infos précises de la part d’Harley-Davidson. Les batteries sont garanties 5 ans et sont censées, selon les avis recueillis lors du test effectué aux USA, tenir la vie du véhicule, soit «au moins 10 ans». Malgré mes recherches et des demandes répétées auprès de Harley-Davidson Switzerland, il m’a été impossible de connaître leur nombre de cycles, ni leur coût de remplacement. Il m’a en revanche été indiqué qu’il était déconseillé d’abuser des charges rapides, car «la durée de vie de la batterie dépend des cycles de charge. La charge rapide réduit considérable la durée de vie, il est donc recommandé d’effectuer une charge rapide par 5 ou 6 cycles de charge.” Les futurs utilisateurs de la Livewire navigueront donc en terre inconnue, concernant les frais et la durée de vie de leur véhicule.
Le verdict concernant la moto est limpide. Le plaisir est là. Différent, mais jouissif. La partie-cycle est précise et la puissance électrique offre des envolées jusqu’à alors inconnues. Mais son positionnement tarifaire (et marketing) fait davantage penser à une vitrine technologique, tel un concept-bike échappé des salons, qu’à une alternative aboutie pour un usage de loisirs. A la rigueur, elle vous comblera dans vos trajets urbains et quotidiens, si vous avez un box fermé chez vous, des possibilités de recharge sur votre lieu de travail, et que la distance entre ces deux points n’est pas trop importante. En tout cas, en attendant que le réseau électrique se développe en Suisse Romande, et offre des points de recharge permettant de viser au-delà d’un rayon de 100 kilomètres.
Définitivement, la Harley-Davidson Livewire vous emmènera à destination aussi vite que possible, mais se rechargera… aussi lentement que nécessaire.
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