La petite KTM 390 Adventure, une moto de rallye?
Nous avons choisi l’édition 2020 de la célèbre épreuve Hardalpitour, où l’on doit parcourir (dans la formule dite Classic) plus de 500 km en 24 heures, avec 60% d’offroad, pour voir ce que cette KTM polyvalente et pas chère construite en Inde était capable de faire, côté suspensions, endurance, résistance aux chocs, éclairage… et ergonomie offerte au pilote.
Lors de sa présentation à la presse, en février dernier sur l’île de Ténériffe (lire notre article), la KTM 390 Adventure est apparue comme une moto polyvalente, apte à voyager sur de longues distances, relativement confortable, bien équipée (pour le prix), pas ridicule dans le terrain et bien sûr dotée d’un prix d’entrée abordable en comparaison avec les super-trails de voyage qui fleurissent depuis quelque temps sur la scène moto (BMW GS, KTM Adventure et Super Adventure, Ducati Multistrada, Kawasaki Versys, Moto Guzzi V85, Triumph Tiger…).
Autant dire que ce modèle à suscité pas mal d’attention, en Suisse aussi. Les quelque 80 exemplaires réservés par KTM Suisse ont tous très vite trouvé preneur. Et de notre point de vue, elle méritait amplement un essai plus complet.
Le Hardalpitour (HAT) 2020 est apparu comme l’occasion rêvée de faire précisément cela, et de voir ce que cette petite Adventure valait dans le terrain et sur la durée. Ce rallye d’endurance moto, dans sa formule dite « Classic », demande à ses participants de parcourir plus de 500 km en maximum 24 heures – en roulant donc aussi la nuit. Et en grande majorité sur des pistes et des chemins, plus ou moins larges, terreux, sablonneux ou caillouteux. On y participe en équipe d’en principe trois motards ou motardes, et nous montons donc un nouveau team ActuMoto pour le HAT Classic, comme en 2019 (lire notre article). Il y a aussi une formule « Extreme », plus longue et aussi plus difficile, que nous laissons à l’équipe ActuMoto numéro 1 (lire son compte-rendu).
Pour que cela soit agréable, ou du moins pas trop fatigant, une moto doit être confortable quand on est debout comme quand on est assis, doit être facile à diriger, son moteur doit être suffisamment souple et coupleux pour franchir ce qui se présente, ses suspensions avoir assez de débattement, son phare éclairer correctement, et ainsi de suite.
Et si l’on doit faire le plein d’essence tous les 150 km, ça va vite devenir énervant. Sur ce dernier point, pas de problème, en roulant de manière raisonnable, la 390 Adventure peut parcourir facilement entre 350 et 400 km avec un plein.
La moto aurait dû être prêtée par KTM Suisse, mais justement, il n’en avaient plus. C’est donc mon collègue journaliste-essayeur-reporter Didier Martin (voir son compte-rendu du HAT Extreme 2020) qui m’a carrément prêtée celle qu’il partage avec sa compagne. Et qu’ils se sont dépêchés d’acheter tant qu’il y en avait encore.
Leur machine n’est pas totalement standard. Heureusement. On lui a fait chausser des pneus Continental TKC 80, qui seront plus adaptés au tout-terrain, surtout si humide, que les gommes d’origine. Et le guidon a été réhaussé de quelques centimètres, ce qui met tout de suite plus à laise quand on pilote debout.
Un sabot moteur en plastique a été installé, avec une partie en alu autour des tubulures d’échappement. Et KTM Suisse nous a donné un set de crashbars. Ajoutons encore une protection de phare (un pare-brise plus robuste), es protège-mains optionnels plus solides que ceux d’origine, un support de GPS… et on y est. Il y a déjà un porte-bagage de série. Et la fourche est réglable manuellement, sans outil. J’oubliais, on a encore un ABS sensible à l’angle d’inclinaison (on peut désactiver ce mode en tout-errain, et l’on peut supprimer l’ABS sur la roue arrière tout en le réduisant sur la roue avant), plus un contrôle de traction (déconnectable et sensible lui aussi à l’inclinaison de la moto), et des repose-pieds assez larges en métal – nous avons enlevé les caoutchoucs. Je constate qu’elle est d’une hauteur très acceptable – 855 mm du sol – pour mon mètre septante, mais qu’elle n’est pas non plus miniature. Je pose seulement le bout de la plante des deux pieds par terre.
Au moment de partir pour l’Italie (le départ du HAT 2020 est à Sanremo, sur la côte ligure), nous scrutons le ciel. Pas de pluie en vue, mais un voyage de plus de 500 km sur route, avec un col, celui du Grand-St-Bernard, et pas mal d’autoroute jusqu’à la côte ionienne. Ce n’est pas encore maintenant que nous allons baisser la pression des pneus à crampons. Ni assouplir la fourche!
A bonne vitesse (entre 120 et un peu plus), la KTM 390 Adventure se montre stable, et moyennement protectrice, son pare-brise étant peu élevé. Sur sa selle confortable, on a de la place pour bouger et prendre ses aises. J’ai oublié de dire que Didier a enrobé cette selle d’un revêtement de type filet qui augmente le confort et permet à l’eau de mieux s’écouler en cas de pluie. Utile pour ne pas avoir une accumulation de liquide sous les fesses!
Les pneus ne font pas trop de bruit, et il n’y a quasiment pas ce tremblement répétitif qu’on associe parfois avec des gommes tout-terrain sur l’asphalte à haute vitesse. Le monocylindre refroidi par liquide, lui, doit grimper un peu dans les tours pour faire bien avancer la machine. Disons à partir de 6000 tr/min. Sur la montée et la descente du Saint-Bernard, la petite KTM est comme un vélo, ou presque. Elle donne du fil à retordre à la grosse GS de mon coéquipier numéro un, Jean, et à la grande Africa Twin Adventure Sports du numéro deux, Ramon. La Honda a été aimablement prêtée par Honda Suisse. Nous en reparlerons brièvement.
Ayant plus ou moins réussi à charger la trace GPS du HAT 2020 Classic sur le Montana emprunté à un copain, mais qui n’a aucune carte en mémoire, mais n’ayant pas eu le temps de raccorder le Garmin à la batterie de la KTM, je le brancherai de temps en temps sur la prise 12 V à droite du tableau de bord. Elle accueille une prise de type voiture (allume-cigare) sans sourciller, contrairement à certaines autres motos. Et cela me servira aussi pour recharger mon smartphone.
Le départ du rallye arrive bien vite le samedi en fin de matinée, après encore un bon plat de pâtes au pesto façon « genovese ». Vite, enlever un peu de pression dans les pneus, quelques clics en moins sur les suspensions avant, et on prend place sur le podium de départ. Jean a aussi la trace dans son « Navigator » BMW, et c’est lui qui partira devant. Et puis Ramon emporte un GPS pour cycliste, au cas où.
Les premiers kilomètres, sur asphalte, mais sur des routes bien étroites et peu entretenues, nous font grimper dans les collines au-dessus de Sanremo. Et bientôt arrive le premier tronçon d’offroad. Il alterne un peu de gravier sur terre avec quelques passages encore humides et deux ou trois rares racines. Tout va bien, la petite KTM se fraie un chemin en toute décontraction, et je me sens à mon aise sur les repose-pieds, les doigts sur le guidon, laissant un peu de mou à la colonne de direction. La roue avant de 19 pouces, pas trop large, trouve son chemin.
Quand il faut freiner, c’est progressif et efficace. Et quand il faut accélérer, on ne peut pas aller plus vite que les motards devant nous, qui nous font avaler de la poussière. La vitesse est de toute façon forcément limitée sur ce genre de chemin tortueux. Mais le moteur est assez souple, même à basse vitesse, et l’embrayage pas trop dur à actionner. Ai-je précisé que cette 390 est équipée du quickshifter bidirectionnel optionnel permettant de passer les vitesses en descendant comme en montant les rapports? A ne pas trop utiliser sous la barre des 4000-4500 tr/min. Il n’y a en tout cas pas de faux point mort, et c’est assez fluide.
Je note au passsage que mon tableau de bord en couleur est parfaitement lisible et que toutes les infos utiles y figurent.
Enfin les suspensions de cette KTM 390 Adventure encaissent bien les petits chocs et la moto ne dévie pas de sa trace. Elle fait juste un peu un bruit de casserole à l’arrière, mais on s’y fait.
Dans la montée de Colle Melosa, entre l’Italie et la France, la piste se fait plus caillouteuse. Et les cailloux sont plus larges, et ne tiennent pas en place. La 390 fait toujours le job, mais ça secoue plus. L’amortissement est efficace mais n’a pas la qualité ni la finesse d’une moto bien plus chère. Et on pourrait sans problème rouler avec un rien de débattement en plus. Disons un ou deux centimètres. Mais comme la moto est aussi relativement légère, cela compense.
La nuit arrive et l’on commence à voir se dessiner le faisceau lumineux du phare avant. Il est puissant et suffisamment large pour que je sache où je vais. Nous nous retrouvons sur une toute petite route asphaltée qui grimpe à flanc de montagne avec une successions d’épingles très serrées, reliées les unes aux autres par de longs bout droits. Le revêtement est en tellement mauvais état que c’est presque pire que sur un chemin en terre. Même remarque que ci-dessus pour les suspensions et pour leurs débattements. Et bientôt le bitume fait place à de la vraie terre.
Et là, il arrive un moment (la nuit est à présent bien là) où ma KTM 390 Adventure n’avance plus qu’au ralenti. Tout d’abord je ne comprends pas et je m’affole, croyant que le moteur a un problème. Puis je remarque que le sol est devenu presque sablonneux, que la roue arrière ne patine pas du tout… et que le contrôle de traction est en train de faire obstacle à ma progression vers le haut. Trop tard pour le déconnecter. Je reporte la plus grande partie du poids de mon corps vers l’arrière de la selle, et la moto reprend son cheminement, cette fois-ci avec une vitesse décente et régulière. Ouf! Cela faisait un bon moment que la GS avait disparu, devant. Et bizarrement je ne voyais plus les phares de l’Africa Twin derrière.
Arrivé au sommet de ce qui est apparemment le col de l’Agnellino (le petit agneau), d’après un panneau indicateur révélé par les phares de la BMW et de la KTM, je me retourne et ne vois toujours pas Ramon et la Honda. Il finira par nous rejoindre, un rien énervé. Il a couché la moto dans un épingle, parce qu’elle a calé. Ou plus exactement, il l’a laissé caler parce qu’il n’a pas pu changer de position assez vite, son pantalon, un peu trop grand pour lui, étant coincé contre la selle. Ou quelque chose comme ça.
La moto n’a pas de raye supplémentaire à l’issue de cette mésaventure, et lui non plus, mais cela a pris du temps de remettre l’Africa Twin d’applomb. Et les feux de détresse de la Honda ont été automatiquement (semble-t-il) déclenchés par cette chute. Dans le noir, il n’a pas trouvé la commande permettant de les désactiver. Nous cherchons parmi les 21 boutons présents sur les commodos… et finissons par en trouver un qui résoud ce petit problème. La nouvelle Africa Twin 1100 est une excellente machine offrant plein de fonctions sophistiquées. Mais Honda aurait pu pondre des commandes un rien plus intuitives quand on les utilise pour la première fois.
Ramon fera cela dit un bilan très positif de sa monture Honda à l’issue du HAT 2020, louant son équilibre général, sa facilité, son confort et ses compétences en tout-terrain.
Nous reprenons la piste, en redescendant progressivement en direction de la vallée, et je constate que de nuit l’écran TFT de la KTM 390 Duke est d’une belle clarté, sans qu’il éblouisse pour autant son pilote. Il y a quelques intermèdes recouverts de bitume, et un arrêt repas sur la place centrale de la petite localité de Boves, dans la province de Cuneo. Place entièrement aménagée pour les participants au HAT, avec des tables et des bancs en grand nombre, et des plateaux repas Covid-compatibles.
Puis, après avoir refait le plein, nous repartons pour un long intermède asphalté en plaine, avant de nous enfoncer à nouveau dans la forêt sur un petit chemin. Et nous regrimpons, ayant loupé sans nous en apercevoir le point de ravitaillement abrité où l’on peut aussi se reposer un moment. La nouvelle montée, sous la lueur du clair de lune, nous expose à un chemin plein de cailloux de hauteurs et d’épaisseurs sans cesse différentes. Et la fatigue se fait sentir. La KTM est un peu moins facile à guider, mais cela vient plus du pilote que de la machine. A la redescente, ce sera encore un poil plus difficile, car ma tentative de trouver un peu de sommeil au sommet de cette montagne va lamentablement échouer: trop froid, trop humide, trop de sonneries de téléphone de concurrents italiens et de bruits de moteurs de motos passant juste à côté de notre précaire abri sans murs.
Le périple nocturne continue, et je finis par me mettre dans le rythme, adoptant un rapport plus haut pour avoir un peu plus de vitesse, relâchant mes bras et laissant plus la moto trouver sa trace. De cette façon, les suspensions transmettent moins de cahots. J’ai déconnecté le contrôle de traction de la KTM 390 Adventure, et cela se passe nettement mieux en montée. Et peu à peu le soleil se lève à nouveau, dévoilant la vallée tout en bas. Un moment magique que nous savourons tous trois. La KTM 390 Adventure a l’air moins fatiguée que son cavalier. Mais les rayons de l’astre solaire nous redonnent de la force (avec aussi il est vrai une rapide petite barre de céréales enrobée de chocolat), et c’est reparti.
La position debout n’est pas plus fatigante qu’au début du rallye, et la KTM suit la GS avec facilité. Il faut maintenir son moteur plus haut dans les tours, mais l’écart de puissance, aux vitesses auxquelles nous roulons dans le terrain, n’est pas si apparent que sur route rapide. Je note qu’il n’y a toujours aucune vibration gênante venant du monocylindre.
Après une magnifique excursion au sommet du col de l’Assiette, sur les hauteurs de Sestriere, nous pensons arriver au bout de notre rallye lorsque nous rejoignons la route et la vallée. Mais comme c’est désormais presque la coutume au HAT, ceux et celles qui ont préparé la trace GPS ont réservé une petite surprise pour la fin. Sous la forme d’une nouvelle boucle tout-terrain qui monte jusqu’au coeur du domaine skiable et vous fait redescendre… par la piste de ski cette fois-ci. Malgré la volonté que j’ai de rester concentrer et de bien scanner le terrain devant ma roue, je sens soudainement un gros choc dans le bas de la moto. Je continue comme si de rien n’était, car il ne semble pas y avoir de fuite de liquide ou quoi que ce soit du genre. Mais j’entends par contre un bruit bizarre…
Ce ne sera que lors de la jonction avec le team ActuMoto numéro 1 que nous trouvons le fin mot de cette petite histoire. Une pierre a fait un trou dans la partie plastique du sabot moteur, qui s’est mis à osciller et qui a fini par arracher une des vis le maintenant sur le côté. Fort heureusement, pas d’autre dégât, et le cache en alu a protégé l’avant de la ligne d’échappement. Pour éviter tout drame, nous enlevons complètement le sabot. Et Didier s’en commandera un nouveau, en métal cette fois-ci, aux frais d’ActuMoto. C’est la moindre des choses.
En conclusion, je dirais que la KT; 390 Adventure est tout à fait capable de faire un rallye – s’il ne s’agit pas du Dakar. Il est conseillé de la doter de pneus adéquats, bien sûr, et de modifier quelques petits détails. Et on n’aura pas à son guidon des accélérations foudroyantes dès les bas régimes. Mais sinon on peut vraiment faire un nombre de choses impressionnant avec cette « petite » moto.
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