Ducati Streetfighter V4S – une main de fer dans un gant de soie
Présentée lors du dernier salon EICMA comme une sulfureuse Panigale V4 dépourvue de sa robe, la Streetfighter V4S a frappé fort dans une branche en pleine expansion – celle des roadsters saignants. Actumoto s’est fait un plaisir d’analyser cette diva italienne, lors d’un essai des plus sportifs.
La recette, qui fut inventée par Triumph en 1994 avec sa fameuse Speed triple et que l’on retrouve ici pour notre essai de la Ducati Streetfighter V4S, est en quelque sorte la clé du bonheur pour le sportif qui roule sur route ouverte : prenez une sportive prête à pulvériser du chronomètre; retirez lui ses atouts aérodynamiques; échangez ses bracelets contre un guidon droit et… gardez le reste! Vous obtenez un monstre de technologie dérivé de la compétition; avec une position vous incitant à l’arsouille montagneuse: une invitation que je ne saurais refuser!
Premier regard
Carouge, en une fin d’après-midi qui nous rappelle à quel point l’été va nous manquer d’ici peu. J’entre dans la cour de la concession genevoise de Ducati pour y déposer la Ducati 851 que je viens d’essayer (essai disponible ici). Xavier Hofer, encyclopédie desmodromique vivante et maître des lieux, m’y attend dans le but de me faire découvrir le mode d’emploi de cette moto high-tech qu’est la Ducati Streetfighter V4S. Elle m’attend sagement, le museau pointé en direction de la sortie, tel un appel au jeu… d’adulte. C’est le second essai que nous publions de la Streetfighter V4S (lire notre article), mais le premier avait été fait durant le semi-confinement, avec forcément un peu plus de retenue et un peu moins de kilomètres.
Ce qui frappe au premier regard sur cette machine, ce sont les faibles dimensions de sa tête de fourche, qui semble presque perdue entre les deux amortisseurs semi-actifs badgés Öhlins. Cette silhouette trapue, secondée par deux rangées d’ailerons affûtés, semble tout droit sortie des paddocks de grands prix, avec Gigi Dall’igna dans un coin du box.
La partie arrière reprend trait pour trait la croupe de la Panigale. La séance d’effeuillage subie par cette MotoGP de route laisse visible ses entrailles, pour notre plus grand plaisir. Öhlins, Brembo, cette Ducati reste dans la lignée de ses devancières, avec un équipement noble et de qualité. Comment faire mieux que cette version S, sublimée par des jantes en aluminium forgées signées Marchesini, ainsi que des suspensions électroniques NIX30 et TTX36.
Je profite du réel exposé de notre Monsieur Ducati g’nevois pour me rendre compte à quelle point cette technologie est à la portée de tous. Tout est réglable facilement depuis les commandes au guidon, et semble extrêmement compréhensible sur la tablette TFT qui fait office de compteur.
Moteur, action
La fin d’après-midi pointe le bout de son nez et il est temps de quitter mon prochain lieu de rendez-vous étant la Cure, en vaudoisie, je suis dans l’obligation de gravir le Jura par le pays de Gex et mon col de référence pour les essais: j’ai nommé le col de la Faucille. Quelle chance! Je démarre le 4-cylindres d’une légère caresse du pouce droit, et je me demande si l’échappement équipant la Streetfighter est homologué, tant ses grognements au ralenti font vibrer mes tympans. Orgasme auditif garanti!
Je prends place sur la machine et effectue mes premiers tours de roue en traversant la ville du bout du lac. Premier choc. La douceur et le confort émanant de cette moto sont surprenants. La position est légèrement inclinée sur l’avant et le guidon large tombe naturellement sous les mains. La selle est haut perchée, à 845mm du sol, mais ce n’est pas un obstacle en soi. Il faut juste faire attention en cas d’arrêt sur un sol en relief, pour un pilote de ma hauteur (soit 1,75m).
Le shifter up&down, quant à lui, permet de jouer sur les 3 premiers rapports en ville sans le moindre à-coup. L’assise est la plus belle surprise de cet essai. La selle est moelleuse et large à souhaits, à croire que la bagarreuse de rue a subtilisé la selle d’une Touring lors d’un ancien combat. C’est de loin la meilleure assise de la catégorie!
Je traverse Genève aisément et me retrouve enfin du coté obscur de la frontière. Pneus chauds, pilote motivé: le cocktail parfait pour un bon moment. Je commence l’ascension avec de la réserve. Les virages s’enchaînent, mais une frustration m’envahit: il va falloir travailler sur l’électronique pour être à l’aise sur cette machine. Le retour de mon rendez-vous montagnard se fera de nuit, ce qui me permet de me rendre compte que le ramage et le plumage sont réellement dissociés sur cette onze-cent. Malgré l’allure microscopique de l’optique avant, la conduite de nuit s’avère aisée, même en feu de croisement. Cette Ducati n’a définitivement pas dévoilé toutes ses cartes…
Diva electronica
Même si certains puristes l’exècrent, l’électronique fait aujourd’hui partie intégrante des performances d’une hypersport. A ce jeu la, Ducati a frappé très fort. Chaque axe possède plusieurs niveaux d’assistances, où chaque variation est ressentie, permettant une personnalisation de la moto au trait de caractère prêt. A aucun moment la moto ne semble limiter ses performances, et elle offre au pilote une confiance extrême, autorisant des sorties de courbes avec les gaz ouverts en grand, sans la moindre sensation de frustration. Même sur les modes les plus sages. L’ABS de virage peut se montrer intrusif, mais à un rythme de pilotage bien plus élevé que ne le tolère la raison. Pour ma part, j’ai néanmoins préféré déconnecter cette assistance, pour plus de sensations.
Les suspensions semi-actives Öhlins demandent à mon goût un temps d’adaptation, du fait d’un ressenti particulier lors des phases de freinage, le transfert de masse semblant léger sur l’avant. Les pneumatiques semblaient plus subir les G négatifs que ma pauvre carcasse. C’est grâce au duo, étrangement, que je me suis rendu compte de l’efficacité de l’amortissement, l’assiette du châssis restant parallèle au sol sans réglages mécaniques préalables; et l’amortisseur de direction se durcissant, rendant chaque accélération très stable malgré la tendance incessante du train avant à délester.
La fonction « Launch Control » étant de série sur cet engin, l’envie de la tester fut trop forte. Je suis là pour essayer la moto, non? Une simple pression sur le bouton de droite et le tableau de bord annonce la couleur. Première enclenchée, je place le moteur au milieu de sa course et lâche le levier d’embrayage: la moto bondit dans un bruit de contrainte métallique. La roue avant à peine levée, je passe le second rapport au shifter et imagine un concurrent à mes côtés, prêt à se battre au freinage! Frisson garanti! Mais même dans cet exercice scabreux, la machine reste facile à contrôler. La Streetfighter V4S possède cette faculté de transformer un pilote lambda en un pilote expérimenté, d’un simple clic électronique… Jouissif!
Feux vert sur la ligne
Un samedi après-midi ensoleillé. Mon col préféré. Et un photographe motivé pour un shooting des plus dynamiques. Tant de signaux que votre serviteur ne pouvait laisser passer. A cet exercice, la belle transalpine dévoile tout son potentiel. Stable et précise, elle virevolte d’une courbe à l’autre avec une sérénité déconcertante. Je me permets des passages en courbes « anglés », malgré de gros raccords présents sur le bitume. A aucun moment, je ne me sens pris au dépourvu, la moto m’autorisant toute les fantaisies imaginables.
Le moteur, malgré une plage d’utilisation bien plus haute que ma Tuono personnelle, offre de belles envolées dès le bas du compte-tour, et déchaîne sa puissance folle à partir de 8000 tr/min dans une symphonie semblant directement issue de la compétition ! Ducati a cependant travaillé son système de valves pour que la machine soit silencieuse à allure urbaine sur les troisièmes et quatrièmes rapports, un luxe bien apprécié des passants. L’après-midi avance à grand pas et ma destination du soir n’étant pas vraiment à proximité, il est temps de brusquer le mouvement pour démarrer le test sur long trajet.
En duo
Ma passagère en chef contemple la selle arrière avec un regard dubitatif. Effectivement, le strapontin ne semble pas pouvoir accueillir plus qu’un Sugus… Mais à sa plus grande surprise, la vie à bord y est agréable, les selles étant éloignées et laissant un bel espace au passager! Les kilomètres s’enchaînent à bon rythme, le V4 résonnant le long des parois rocheuses pour le bonheur de l’équipage. Il faut bien penser décomposer chaque mouvement en duo pour éviter de sentir les trains se désolidariser, mais nous somme sur une machine à vocation hyper sportive et pas sur une Touring !
Une consommation digne d’une Panigale
Les passages à la pompe se succèdent durant mon essai. La Streetfighter m’a offert une autonomie maximale de 140 kilomètres en usage mixte… avec un témoin de réserve allumé à moins de 100 kilomètres en cas d’usage frénétique. Le réservoir de 16 litres offre pourtant une capacité suffisante, mais la donne est faussée par une réserve de 4 l. La consommation moyenne, vérifiée par mes soins, se stabilise aux alentour de 8,5 l/100.
Une grosse partie de l’essai s’est effectué sous la pluie. Une fois encore, l’électronique s’est montrée impeccable, la limite de cette configuration d’origine étant les pneumatiques Pirelli Diablo Rosso, pas forcément à leur aise sur chaussées détrempée. La protection sur une naked est forcément passable, et il ne semble pas nécessaire d’épiloguer sur ce point. Foi de pilote (et de passagère) ruisselants d’eau.
Ma plus grande surprise, lors de ce long périple, restera donc le confort de la selle. Là ou la plupart de ses concurrentes vous laissent avec un arrière-train meurtri après seulement 150 kilomètres, la Ducati a su préserver cette partie de mon anatomie malgré les nombreuses heures passées avec elle dans les massifs limitrophes. Pour une moto semblant tout droit sortie des paddocks, c’est un argument des plus séduisants!
Pour conclure
Il ne sert à rien de cacher mon intérêt pour la marque italienne – une passion naissante depuis peu. Mais comme tout « puriste » qui se respecte, je pensais indispensable pour une Ducati d’être équipée d’un cadre treillis et d’un gros twin dans ses entrailles. C’est donc avec une certaine méfiance que j’ai approché cette moto, et ce fut une erreur. L’ADN de Bologne est bien présent – et avec la manière – dans cette nouvelle vision sportive made in Bologne. Cette Ducati Streetfighter V4S propose des performances ahurissantes, sans faire disparaître le confort au quotidien. Proposée au tarif de 23995 francs, elle se situe économiquement au-dessus de la concurrence. Mais au vu de l’équipement embarqué, et des prestations offertes, ce tarif est loin d’être galvaudé.
Une question reste cependant ouverte : est-ce encore utile d’investir dans une moto hypersport pour la route ? La question risque de faire débat! J’ai en tout les cas eu beaucoup de plaisir à analyser cette monture, et remercie Ducati suisse pour le prêt de cette Streetfighter, ainsi que Ducati Genève pour les conseils.
Pour être complet, nous signalons que Ducati propose pour la version 2021 Euro 5 du Streetfighter V4S un coloris noir, à côté du traditionnel rouge Ducati. Et que ces motos ont une puissance et un couple maxi inchangés malgré des normes anti-pollution plus sévères que sur le modèle Euro 4 que nous avons essayé. La puissance de 208 chevaux est juste atteinte 250 tr/min plus haut, et le couple de pointe de 123 Nm 2000 tours plus bas. D’autres petites modifications pour 2021 concernent le silencieux d’échappement, notamment, et le système de purge des pompes de frein et d’embrayage.
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