Essai décalé – le Hard Alpitour en Ducati Multistrada V4, c’est possible
Nous avons voulu voir ce que valait le monstre routier de Ducati dans le terrain. En roulant avec un exemplaire équipé du pack enduro (roues à rayons, arceaux de protection, protection de la grille du radiateur), et de pneus à crampons corrects (Pirelli Scorpion Rally), pendant 24 heures, à plus de 60% hors bitume, entre Sanremo et Sestriere, en Italie.
Le Hard Alpitour en Ducati Multistrada V4, c’était le but que nous nous étions fixé pour l’édition 2021 de ce rallye touristique qui a lieu chaque année en Italie, au mois de septembre.
Touristique, mais pas pour autant facile. Il faut parcourir pas moins de 520 km, en pas plus de 24 heures, à plus de 60% sur des pistes et des sentiers non asphaltés. L’épreuve se joue surtout dans le terrain, du samedi au dimanche. Entre Sanremo, au bord mer Ligure, et Sestriere, dans les Alpes italiennes. Telle est la version dite « Classic » du « HAT ». On peut aussi choisir la « Discovery », plus courte, et où l’on a le temps de s’arrêter pour dormir durant la nuit de samedi à dimanche. Ou la version « Extreme », où les participants partent déjà le vendredi soir, et roulent sur quelque 850 km, durant 40 heures.
Nous avions déjà pris part au Hard Alpitour Classic, en 2020, une équipe se lançant dans l’Extreme (lire notre article) et l’autre se fixant comme objectif de terminer le Classic (lire notre test de la KTM 390 Adventure durant cette aventure).
Cette année-ci, tout le monde a choisi le Classic. Tout le monde, c’est-à-dire trois équipes romandes réunies sous les bannières conjointes d’ActuMoto.ch et du magazine romand frère sur papier, Moto Sport Suisse. Et cette année-ci, plus de 15% du tracé était nouveau.
Nos équipes
Une première équipe de trois personnes, Roberto, Didier et sa compagne Quynh, roulait sur une Honda CRF 450 L, respectivement une KTM 690 Enduro modifiée et une KTM 390 Adventure (celle qu’ils nous avaient prêtée l’année d’avant!). On précise que Roberto et Didier étaient deux des trois motards qui avaient fait l’Extreme l’année passée.
L’équipe numéro deux était composée de l’auteur de cet article, sur une Ducati Multistrada V4 S munie d’un pack Enduro, d’une BMW GS (1250) pilotée par notre ami Carlos, patron de la boutique moto CP Bike à Lausanne, d’une Triumph Scrambler 1200 XC toute pimpante (préparée par Triumph Lausanne) aux mains de notre autre ami Ramon, et d’une Yamaha Ténéré 700 juste acquise par Jean, le webmestre d’ActuMoto.ch.
Et pour finir, l’équipe numéro 3, sur trois Honda Transalp pilotées par Michel, Michel (dit «Gaga») et Jacky… des machines avec lesquelles ces trois compères avaient fait un grand voyage en 2005, jusqu’en Chine! Ils se sont inscrits pour célébrer leur amitié et la bonne santé retrouvée de «Gaga», qui avait passé une partie de l’année 2020 à l’hôpital, atteint par le coronavirus.
Cette année, il y avait un total de 470 inscrits et inscrites, venant de nombreux pays, un record absolu en 13 éditions. Dont treize pilotes au féminin et pas mal de Suisses. Et l’aventurier globe-trotteur et pilote de rallye Lyndon Poskitt, qui avait déclaré forfait en 2020, bloqué par les restrictions sanitaires, était cette fois-ci de la partie. Tout comme la légende de l’enduro et du cross italien Franco Picco!
La Multistrada V4 est une machine éminemment polyvalente (lire notre test en Italie). Son ergonomie la rend capable d’affronter aussi bien la route asphaltée que la piste. Moyennant quelques ajouts au niveau de l’équipement. Le pack Enduro, fourni comme la moto par Ducati Suisse, comprend des arceaux de protection du moteur, et une grille de protection du radiateur. Nous n’avons pas voulu inclure les feux additionnels, pensant (plus ou moins à raison) que les projecteurs de la V4 suffiraient amplement la nuit. La machine était aussi fournie avec des jantes à rayons, plus résistantes que les roues d’origine, et des pneus adaptés au tout-terrain, des Pirelli Scorpion Rally, tout neufs. Nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour préparer la chose, devant aller chercher la V4 le jeudi, soit juste un jour avant le départ, au fin fond du canton de Zürich, chez le concessionnaire Ducati Zürcher Oberland. Dont nous remercions au passage le patron Daniel Meier pour son accueil chaleureux et pragmatique, et pour le travail effectué en peu de temps.
Des aventures!
Comme il se doit, le ride jusqu’à Sestriere (province de Turin) n’a pas été un long fleuve tranquille de pierres, de sable, d’herbe et de terre. Jean, encore mal en point côté jambes après sa participation cette année au Hard Défitour français, a dû se résoudre à laisser tomber une bonne partie du tracé offroad et à s’installer pour la nuit à Boves (province de Cuneo), là où tous les participants étaient attendus samedi soir pour un rapide repas.
L’équipe numéro deux a ainsi continué à trois, donnant rendez-vous à notre webmestre le lendemain matin pour le célèbre col de l’Assietta, un lieu magique aux panoramas grandioses, tout près de Sestriere.
Puis ce fut au tour de Ramon, qui prit un gros caillou dans le filtre à huile de sa Triumph sur une piste faisant partie du nouveau tracé, près du col de Caprauna. Sa machine s’est vidée de son précieux liquide, laissant derrière elle une traînée de gouttes bien visibles dans le sable et la terre, et il a fallu la faire redescendre en roue libre jusqu’au village le plus proche, Pornassio, dans la province d’Imperia, pour trouver un petit garagiste (auto, et retraité), Ginetto Ronco. Ce dernier, roi de la débrouille, a déniché un filtre à huile de voiture – de Renault! – qui a fait l’affaire, ayant des dimensions compatibles.
Les deux hommes ont même bricolé une extension de sabot moteur à partir d’une plaque d’aluminium et de vis, protégeant le filtre, contrairement à la pièce d’origine, pas assez longue. Afin d’éviter de nouveaux déboires. Et Ramon nous a rejoints à Boves, prêt à aborder la suite de la trace.
Et dans l’équipe des Transalp, une des trois machines a soudain accusé des signes de fatigue, son boîtier d’allumage connaissant des ratés. Son propriétaire, Michel, a dû se résoudre à abandonner et à rallier la Suisse le lendemain avec un seul cylindre, à basse vitesse… il faut savoir qu’aucune assistance mécanique ne fait partie du pack offert par les organisateurs, qui fournissent par contre une trace GPS, et une balise GPS de suivi pour chaque équipe, pour comptabiliser le passage aux différents «waypoints», comme dans tout rallye qui se respecte, et aussi pour repérer d’éventuels problèmes sérieux nécessitant l’intervention des secouristes.
Il y a aussi des points de «ravitaillement», destinés aux pilotes plus qu’à leurs machines, où l’on peut manger et boire, à certains horaires larges mais pas infinis. Et pour faire ce trajet de 520 km en moins de 24 heures, il faut limiter au maximum les siestes récupératrices; en ce qui nous concerne, pas plus de 20 minutes, et pas plus de deux fois dans la nuit de samedi à dimanche.
La Multistrada V4 passe le test
Le «HAT», certes touristique dans sa philosophie (personne n’est chronométré et il n’y a aucune obligation de passer par tous les waypoints), est aussi tout de même une épreuve d’endurance à moto. Il n’y a pas eu de problème pour l’équipe Actumoto numéro un, qui est arrivée au bout de ses 24 heures avec de l’avance, ni pour la GS de Carlos… ni pour la Multistrada V4!
La Ducati s’est avérée agile et confortable dès qu’elle dépassait les 15 km/h. Mais faire demi-tour à son guidon sur une piste de montagne avec le précipice tout n’est pas une mince affaire quand comme l’auteur de ces lignes on n’est pas un vieux routinier de l’enduro sur maxi-trail.
Et la Multistrada s’est aussi fort logiquement révélé lourde, 440 kg avec les pleins, quand il a fallu la relever (quatre fois, dont une au milieu de la nuit dans un chemin pris à la descente et bien rempli de cailloux!). Il faut dire que laisser la pression des pneus à 2 bars au départ du Hard Alpitour n’était pas une excellente idée. Avec le long roulage, la pression est montée jusqu’à quasiment 2,4! Ce qui a bien sûr rendu difficile les redémarrages dans les terrains meubles. Après les trois premières chutes, on a remédié à ce souci en laissant partir un peu d’air. Et à partir de là, la « Multi » avait une bonne adhérence sur tous les terrains.
La bonne nouvelle est que non seulement les protections du moteur ont bien fait leur boulot, mais que les protège-mains se sont aussi révélés très solides. Les quatre chutes se sont toutes produites à l’arrêt ou à très faible vitesse, ce qui fait qu’il n’y avait pas beaucoup d’énergie dans le crash. Mais tout de même, on constate que Ducati a fait un effort conscient pour renforcer la robustesse des ces composants-là. Qui d’ailleurs, contrairement à ceux de la Mutistrada 1260 à moteur V2, n’intègrent plus les clignotants sur la Ducati Multistrada V4! En cas de casse malgré tout, pas forcément besoin de remplacer, en plus des protège-mains, aussi les clignos, ou même d’ailleurs les bocaux de liquide de frein ou d’embrayage, qui ne sont plus solidaires des protège-mains.
Globalement, l’ensemble de la moto est de bonne facture et les outrages infligés par la poussière, les cailloux, la terre et ainsi de suite n’ont absolument pas atteint la Multistrada V4. Nous n’avons pas eu de pluie durant cette édition 2021 du HAT. Mais cela n’aurait vraisemblablement rien changé.
Pour rouler la nuit sur une piste isolée, par exemple au bord d’une rivière, ou dans une forêt, les boutons de commande rétro-éclairés sur les commodos ont été grandement appréciés! Au bout d’un moment, on s’habitue aux commandes, par ailleurs assez intuitives, mais c’est un plus de voir sur quel bouton on appuie. Les projecteurs de série sont ok pour rouler la nuit dans ces conditions, surtout réglés sur les grands phares. En feux de croisement, c’est un peu moins convaincant quand on est dans le terrain et qu’on n’a pas les étoiles ou la lune. Les feux additionnels, tout compte fait, auraient été une adjonction utile pour le confort visuel. Par contre les feux de virage sont super efficaces et il n’est nul besoin de coucher la moto dans le virage pour les activer!
Le tableau de bord est intuitif et facile à lire, de jour comme de nuit, et on n’a pas besoin de quitter le chemin des yeux pour connaître les informations utiles. Le pare-brise, réglé en position basse, ne perturbe pas le champ de vision quand on est debout.
Un des gros atouts de cette Ducati Multistrada des temps nouveaux dans le terrain est peut-être paradoxalement son moteur V4, plus puissant, mais moins caractériel que les précédents V2 à bas régime. On arrive plus facilement à doser l’arrivée du couple, qui déboule plus haut, et qui le fait de manière plus régulière – même en comparaison avec les dernières versions du V2 à distribution variable. On peut rester plus longtemps en première avant de passer la deuxième, et quand on sélectionne le deuxième rapport, la poussée est plus douce à bas régime.
Avec la nouvelle ergonomie, qui fait que le centre de gravité de la machine est relativement bas, et que l’on contrôle bien ce qui se passe aussi lorsque l’on se met debout, il est aussi facile de manoeuvrer cette moto moteur enclenché dans le terrain que disons une certaine concurrente bavaroise. Et peut-être plus facile pour ce qui est de la réponse du moteur aux impulsions de votre main droite. La seule difficulté venait du fait que nous n’avions pas pris le temps de tourner le guidon dans sa position Offroad, ce qui rendait l’appui vers l’avant en montée un peu moins naturel.
Le mode de pilotage Enduro, dans ses réglages de base, adoucit encore un peu le moteur, sans toutefois lui enlever son « jus », et il réduit l’intervention des assistances au pilotage, en désactivant par exemple l’ABS sur la roue arrière. De base, le réglage de l’anti-patinage dans ce mode autorise de légers dérapages de la roue arrière à l’accélération, sans que cela empêche pour autant la progression dans la terre ou les cailloux. Au besoin, et si l’on se sent en confiance, on peut le désactiver complètement. Ce qui est pratique, c’est que les changements apportés aux modes restent en mémoire quand on coupe le contact (sauf pour l’ABS si on le désactive entièrement).
Les suspensions électroniques sont efficaces dans le terrain. Là aussi, elles adoptent un tarage spécifique au mode Enduro. Plus hautes et plus souples que par exemple en mode Sport. On peut là aussi personnaliser. Mais pour le Hard Alpitour, où il n’y a pas de grosses difficultés de franchissement, c’est selon nous parfait. Et c’est même confortable, y compris sur les pistes caillouteuses, tout en restant rigoureux. On va donc là où l’on veut, sans que cela devienne une torture.
Enfin la consommation d’essence en tout-terrain, au vu des vitesses pratiquées, n’a pas été immense et a permis sans problème de faire plus de 240 km avant de passer par une pompe.
Nous sommes donc arrivés au bout des 520 km du Hard Alpitour 2021, fatigués mais encore en bon état, tout comme la moto.
Et après une bonne nuit de sommeil, nous avons encore fait quelque 400 km (7 h de route) pour rentrer le lundi, en passant par Briançon, le Galibier, Morzine et la Vallée d’Abondance. A un bon rythme. Après avoir regonflé les pneus, naturellement. Car leur adhérence sur route est très correcte, pour autant que l’on fasse attention à ce paramètre. Et ils n’occasionnent pas de vibrations gênantes sur l’autoroute, si l’on respecte les limitations de vitesse.
Pour plus d’infos sur la Multistrada V4 S, vous pouvez consulter le site suisse de Ducati, ou vous adresser notamment à nos partenaires de l’Annuaire suisse des professionnels de la moto, Ducati Genève, et Red Zone Motos à Echandens (VD).
Encore un mot sur l’équipement de l’essayeur, qui portait un ensemble Scott Dual Raid de dernière génération. Confortable, pratique, bien aéré malgré les apparences, et avec des poches étanches (en suffisance). Le haut s’accroche au bas avec une fermeture éclair. D’un prix non négligeable, mais la fabrication est de qualité. Le casque choisi, de type mixte enduro-route, est un modèle X.Wed 2 du fabricant portugais Nexx. Fait en grande partie à la main, et dont on peut enlever la visière (pour rouler en enduro) et/ou la casquette (pour la route), son essai complet sera bientôt publié dans ces colonnes. Nous emportions en sus un sac Kriega souple et modulable sur la selle, très étanche et facile à fixer sur n’importe quelle moto. Il n’a jamais bougé, même lors des chutes.
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