Dans les somptueuses montagnes au Kirghizistan, 2ème partie
Le soleil ne s’est pas encore levé au Kirghizistan, mais nous sommes déjà debouts et sur nos motos, prêts à découvrir la beauté des pics enneigés au sud du pays, sur la prairie après le village d’altitude de Sary Tash.
Nous avons déjà parcouru près de la moitié du voyage guidé organisé par la petite société suisse T3 Expérience, au Kirghizistan, un pays d’Asie centrale aux paysages somptueux et aux gens accueillants (lire la première partie de notre périple).
Voici la suite de notre aventure, celle d’un petit groupe de Suisses et de Français partis à la découverte de cette contrée, durant douze jours, avec dans le groupe deux journalistes d’ActuMoto.ch en selle de deux Ducati, une DesertX personnelle et une Multistrada V4S prêtée par Ducati Suisse.
Le plan était de profiter de l’aube pour voir le pic Lénine (plus de 7000 m), car à ces heures les nuages ne sont en règle générale pas présents sur les sommets. Mais le ciel est resté tout aussi couvert que la veille, sinon plus. Mais au moins nous avons fait de belles photos des motos dans les premières lueurs de l’aube!
Nous partons pour la journée avec le plus de kilomètres, plus de 430, en repassant tout près d’Osh, en remontant à nouveau à travers Oezgen et sa circulation infernale, puis en bifurquant pour entrer dans Jalal Abad, point où nous faisons le plein d’essence. Ce qui nous attend est le col de Kaldaman, plus familièrement appelé de Kazarman, que l’on atteint par une longue piste sinueuse qui monte à près de 3000 mètres.
Charles et moi commençons par louper la petite route partant à gauche qui permet de rejoindre cette piste et nous roulons encore une bonne vingtaine de kilomètres sur une magnifique route bien asphaltée, avec l’impression d’être des pilotes de MotoGP (impression trompeuse), avant de nous apercevoir de notre erreur.
Le temps de redescendre, Arnaud, le patron de T3 Expérience, qui se faisait du souci pour notre sens de l’orientation, nous rejoint et nous ouvre la voie. La piste de Kaldaman est du genre terre et rocaille. A première vue, le fait qu’il ait plu durant la nuit ne devrait pas poser de problème.
Mais c’est là que nous tombons sur une rivière qui a débordé de son lit et s’est répandue sur la piste, comme on peut le lire dans la première partie de cet article. Et c’est ma première chute, sans gravité, mais qui ne fait pas baisser mon niveau de fatigue général.
Un rendez-vous pic-nic est prévu avec l’équipe du 4×4, un peu plus haut, au bord d’un bucolique ruisseau ombragé par deux arbres. La voiture met du temps. Nous en profitons pour observer les rondes de dizaines d’abeilles qui viennent s’abreuver dans cette petite rivière toute claire, et nous goûtons par politesse au lait de jument fermenté que des femmes du coin viennent très gentiment nous offrir.
Nous apprendrons un peu plus tard que la voiture d’assistance a en fait souffert de la chaleur et que son moteur a calé à Oezgen. D’où le retard. Lorsque Zafar, le chauffeur, et Rustam, notre guide oubèke parfaitement francophone arrivent enfin avec les victuailles, nous avalons notre repas avec peut-être un peu plus de hâte que les autres jours, car il faut reprendre la piste pour ne pas arriver à Kazarman après la tombée de la nuit.
Encore une photo avec la famille kirghize qui occupe les lieux tout l’été, et qui a reconnu Arnaud (déjà passé par là les années précédentes), et c’est reparti.
Toujours plus haut est la devise du jour, sur une piste noire-grise où les cailloux se font plus ou moins présents, jusqu’au sommet, balayé par le vent et parsemé d’herbe quasi rase. La vue plongeante sur la vallée d’où nous venons est impressionnante. Personnes sujettes au vertige, s’abstenir!
Nous rencontrons quelques chevaux dans la descente, et le paysage devient progressivement moins escarpé, et de plus en plus couvert de graminées et de plantes de prairie de divers types.
De temps en temps, un chien défend son territoire en nous courant après. Rien de bien menaçant, mais mieux vaut ne pas s’attarder.
Et nous arrivons à Kazarman, Cette petite ville n’a rien de particulier, elle est disposée avec de l’espace dans ses rues, dont plusieurs sont non asphaltées. Il y a une pompe à essence, et une guesthouse accueillante qui nous paraît presque luxueuse, avec son escalier de bois monumental! La ville possède aussi un aérodrome, et elle est plate de chez plate.
Le lendemain, nous partons en direction du sud, sud-est. Notre objectif s’appelle Tash Rabat. Le mot «Tash» signifie plus ou moins étape ou refuge. On le trouve dans des endroits qui ont été pendant longtemps des stops aménagés dans les trajets des caravanes qui empruntaient l’une ou l’autre version de la route de la Soie en Asie centrale, entre la Chine et les régions plus proches de l’Europe.
Pour y arriver, nous commençons par une route qui est presque plus défoncée qu’une piste véritable. Il y a des trous partout et nos suspensions comme nos séants sont malmenés. Mieux vaut ralentir un peu la cadence.
Pneu crevé, sauvé avec de l’eau savonneuse et une mèche
Soudain, ce qui devait probablement arriver … arrive. Le pneu avant de la Multistrada de Charles se troue et perd de l’air. Il faut s’arrêter, se mettre en sécurité sur le bord de route, car des camions remplis notamment de gravier passent régulièrement par ici, et attendre le reste des troupes.
Nous avons des roues de rechange pour les DesertX dans la voiture d’accompagnement, mais elles n’ont pas les bonnes dimensions pour la Multistrada. Tout dépend donc de savoir si l’on peut réparer ce trou avec une mèche!
Arnaud prend le temps de trouver l’endroit précis où s’est produite la crevaison sur le pneu, avec de l’eau savonneuse – un vieux truc de pistard. Il trouve en définitive deux trous, de grandeurs différentes. Et il enfonce une mèche avec dextérité pour à nouveau étanchéifier le pneu. Et cela fonctionne!
Nous pouvons repartir, après n’avoir au final perdu qu’une petite demi-heure. Le prochain morceau de bravoure consiste en un col en pente douce qui serpente dans de grosses collines. Les averses des deux nuits précédentes ont laissé des traces. On sent que la traction devient par endroits délicate pour ceux qui, comme moi, ont des pneus Pirelli Scorpion Rally STR.
En montée, ça passe, mais dans la descente, c’est plus difficile. Il faut rester les deux roues bien en ligne, ne pas dévier sur le côté ni croiser d’ornière, et éviter tout freinage intempestif. Le maître-mot est ici la douceur, alors que le ciel oscille entre le gris sombre et le soleil.
Je pense avoir fait le job dans un passage bien glissant traversé debout sur les repose-pieds, quand Arnaud me félicite en me criant: «Ca passe, c’est nickel». Il n’en faut pas plus pour que je tourne machinalement la tête à gauche. Miss DesertX suit mon regard, la roue avant traverse une grosse ornière, je progresse encore de vingt centimètre et ma moto se couche à nouveau, cette fois-ci sur le flanc droite.
Nous relevons, nous la sortons de son trou et nous la descendons de quelques dizaines de mètres pour la poser sur sa béquille. Je digresse en précisant que ma béquille latérale – j’attends toujours une béquille centrale, commandée au moment d’acheter la moto, il y a de cela une année – présente un angle peu prononcé qui fait qu’il n’est pas toujours facile de faire tenir la DesertX à l’arrêt!
Plaque d’immatriculation perdue – pas de problème!
C’est à ce moment-là que je m’aperçois que je n’ai plus de plaque d’immatriculation. Ni d’ailleurs de porte-plaque! Il a dû se dévisser sous l’effet des vibrations et de la chute précédente. Impossible de savoir où tout cela se trouve. Dans l’immédiat, ce n’est pas un problème, ce qui compte dans ce pays c’est d’avoir une preuve d’assurance. Et un simple papier suffit.
Mon collègue Sébastien, qui est aussi mon garagiste et qui roule avec sa dulcinée sur la selle passager, tombe lui aussi. Sans mal.
De retour dans la plaine, nous profitons d’une halte dans le minuscule village de Baetov pour acheter de l’eau et prendre des snacks kirghizes aussi nourrissants que délicieux, dans une sorte de fast food local.
Après le repas, la piste reprend. Et un événement malheureux se produit. Pierre, un des motards qui participe à ce voyage, a un mauvais réflexe: il freine de l’avant en tournant la tête alors qu’il roulait bonne allure. Et il le fait sur une grosse flaque boueuse. Sa chute est brutale, il a mal aux côtes.
Il faut monter sa Yamaha sur la remorque du 4×4, et le motard dans la voiture. Pierre, qui n’en mène pas large mais qui arrive à marcher à peu près normalement, va nous suivre à Tash Rabat et une partie de notre équipe de guides l’emmènera le jour d’après à l’hôpital dans la ville de Nahryn.
En attendant, nous continuons, et reprenons de l’altitude sur ce qui selon Arnaud est l’un des plus beaux cols kirghizes, le MELS (3262 m). Des lettres qui correspondent aux initiales de quatre leaders célèbres ou inspirateurs de l’Union soviétique et de feu le régime communiste: Marx, Engels, Lénine, Staline.
La piste devient rougeâtre, et le vert de l’herbe contraste joliment avec cette coloration. Ce col-ci est nettement moins escarpé, mais les vues qu’il nous propose n’en sont pas moins magnifiques. Au sommet du col, un panneau digne d’un sculpture soviétique monumentale abstraite à la gloire du Travailleur (si, si, c’est possible) arbore fièrement le nom du col. Pause photo obligatoire. Nous sommes rejoints par un petit groupe de jeunes hommes voyageant en camion et qui ont manifestement un coup dans le nez. Ou deux. Ils ne sont pas agressifs, juste à côté de la plaque.
Puis, à la descente, c’est au tour d’Aurélien et de Charles de coucher une Triumph Tiger 900 et la Multistrada. Pour les mêmes raisons (boue), et une nouvelle fois sans conséquence.
Nous passons par une vallée intermédiaire qui nous offre la possibilité de faire les beaux devant l’objectif de notre photographe-guide-organisateur Arnaud: un gué pas trop profond qui fait jaillir l’eau autour des motos.
Nous finissons par atteindre la vallée qui mène à Tash Rabat. Nous sommes tout prêts d’une rivière qui a l’air plus fraîche que fraîche, entourés de collines basses semi-rocheuses, avec une belle portion de ciel ouvert au dessus de nos casques. Ca et là, nous entr’apercevons des marmottes kirghizes. Pas très différentes de nos spécimens suisses, juste peut-être avec un pelage plus brun que gris. Leur cri d’alerte est exactement le même!
Le campement de Tash Rabat se trouve au bout de cette vallée, et la piste s’y termine. Si l’on veut aller plus loin, par exemple en Chine voisine, il faut le faire à pied, à dos d’âne ou éventuellement à cheval. Toute une série de yourtes sont posées à la queue-leu-leu en contrebas d’un bâtiment en dur. Les visiteurs peuvent les louer pour la nuit, et c’est ce que nous faisons ce soir.
A l’intérieur, des tapis et des lits fournissent un bon confort. L’ouverture au sommet du toit peut être ouverte ou fermée, et un poêle est là pour donner de la chaleur la nuit.
Cette halte en pleine nature, où il n’y a d’ailleurs pas de réseau téléphonique, est pour nous l’occasion de nous livrer à un délassement qui serait arrivé dit-on avec les Russes; le « bagna ». Autrement dit, le bain turc ou sauna humide.
Deux réservoirs d’eau, un pour l’eau chaude (bouillante) et l’autre pour l’eau froide, permettent d’avoir exactement la bonne température. On s’asperge avec des louches, et cela fait partir toute la transpiration de la journée, tout en détendant les muscles. Pour une somme modique, c’est un véritable plaisir!
La nuit dévoile un ciel rempli d’étoiles, avec une belle lune jaune. Il est temps de dormir. Notre yourte est chauffée par un poêle à bois, la fumée s’échappant par le « toit ».
La température est agréable à l’intérieur, fraîche à l’extérieur quand il faut aller chercher les toilettes. Tout va bien.
Demain, nous allons nous diriger vers un autre campement, bien plus important, au bord d’un lac renommé, le lac Son. Le nom complet est Son Koul, «Koul» signifiant lac.
Avant de quitter Tash Rabat, nous bénéficions d’une visite guidée des ruines de l’ancien caravansérail qui porte le même nom, avec le commentaire bien documenté de Rustam.
L’endroit était utilisé pour stocker des denrées diverses et variées et des marchandises. Et pour exiger des droits de passage!
On pourrait se perdre dans les étroits et bas couloirs qui relient chacune de ses « chambres » ou « pièces ». Et le lieu serait sans doute idéal pour abriter une cave à vin, si le climat au Kirghizistan permettait de cultiver de la vigne.
Le trajet jusqu’à Son Koul passe par la ville de Nahryn. Un carrefour de plusieurs chemins, avec un bon nombre de services commerciaux, administratifs et de santé.
A l’entrée de la ville (station d’essence), un automobiliste local m’a demandé si j’étais musulman. Il est vrai que j’arborais un bonnet traditionnel kirghize, acheté à Tash Rabat, et qu’avec ma barbichette et mes rides au coin des yeux, je pouvais presque passer pour quelqu’un du coin.
Je lui ai répondu «niet», en russe. Il avait l’air sceptique. Et il a posé une nouvelle question, par le biais d’un geste sans équivoque, me demandant si on m’avait coupé le zizi (eh oui). Ne voulant pas mentir, j’ai répondu oui, mais j’étais bien incapable d’expliquer que ce fut pour raisons médicales, et pas religieuses. Le bonhomme m’a pris dans ses bras, très heureux. Ce qu’on appelle un malentendu culturel!
Nous sommes arrivés dans cette ville vendredi. Dans un pays en très grande majorité musulman, c’est l’équivalent d’un dimanche. Il s’est donc avéré un rien difficile de trouver un médecin qualifié pour examiner les côtes de Pierre. Celui que notre équipe a déniché n’avait manifestement pas une énorme envie de bien faire. Il a juste parlé d’une éventuelle côte cassée. Arnaud, Rustam et Zafar s’occupent à la fois du blessé et de nous, alternant entre la clinique, le restaurant où nous prenons la pause de midi, et la rue commerçante du centre-ville où nous refaisons le plein de bouteilles d’eau, notamment.
Au final, Pierre est rapatrié d’abord en taxi (confortable) à Bishkek, d’où il reprendra l’avion pour Paris. Un toubib français lui diagnostiquera bien cinq côtes fracturées. Arnaud nous avait tous mis en garde: garder une vitesse raisonnable, et rester concentré, ce sont les deux impératifs de ce voyage qui n’est pas en soi dangereux, mais où un accident peut se produire.
Quant à nous, nous poursuivons notre périple après Nahryn en prenant une nouvelle piste qui nous emmène vers le col qui porte le surnom de col des 33 perroquets (en russe). Son vrai nom en kirghize est le Terskey Torpok. Il compte effectivement 33 virages en épingle et monte de manière abrupte à flanc de coteau.
Rustam nous explique que, selon lui, le mot « perroquet » est issu d’un personnage de dessin animé russe, dessin animé dans lequel les distances sont mesurées, justement en nombre de perroquets. Autre hypothèse: la forme des épingles peut faire penser à un bec de ce genre d’oiseau.
Nous nous attardons sur une piste secondaire au pied de ce col, pour aller admirer une cascade. Une famille de gens du coin s’y est installée pour la journée. Elle nous propose de partager son repas, ce que nous déclinons avec regret, ayant déjà la panse bien remplie.
Le patriarche viendra tout de même nous saluer et prendre la pause au côté de Laure, la compagne de Séb’, tandis que le même Séb pourra se mettre contre l’épouse du Monsieur. Nous n’avons pas tout compris, mais le geste était amical.
Deux jeunes filles sont ensuite venues apporter un reste de repas à Léo, un des participants de notre aventure, qui avait manifestement l’air un peu maigrichon pour les standard locaux. Il aura quelques difficultés à ranger les deux contenants avec le repas dans les sacoches souples de sa DesertX. Nous l’observons du coin de l’oeil, très amusés.
Une fois au sommet du plateau de Son Koul, nous empruntons une large piste rectiligne qui va nous amener sur la rive sud du lac. Mais les nuages qui s’accumulaient depuis quelques minutes décident de s’entre-choquer, et la pluie tombe. D’abord une fine averse, puis une grosse pluie bien froide.
Il y a même de la grêle qui s’en mêle. La combi de pluie Scott va enfin vraiment servir. Fouetté par les éléments, je mets le turbo pour arriver plus vite au sec, et me mets à dépasser mes compagnons. Non sans prendre la peine de bien contourner un énorme trou dans la piste, dûment signalé par des pierres, et de prendre au passage des nouvelles de Léo, qui a glissé dans l’herbe en voulant contourner ce trou par l’autre côté. Il n’a rien, mais son levier de frein avant ne fonctionne plus. Vivement le campement!
Le ciel finit par se calmer et le soleil se couche sur le lac, les yourtes et la prairie immense parsemée de petites fleurs d’edelweiss.
Demain, c’est jour de repos, pour faire un peu d’entretien sur nos motos, de la lessive, et plus ample connaissance avec la manière de vivre de ces nomades. Dehors, les mâts d’éclairage autour des douches et toilettes communautaires donnent au campement un air irréel dans l’obscurité compacte.
Le lendemain, la météo est encore un peu morose, mais va en s’améliorant. Il y a d’autres touristes dans le campement, que nous avons brièvement rencontrés lors du repas du soir. Certains viennent d’Israël, d’autres sont des motards russes. Mais aujourd’hui, nous attendons le second groupe mené par une équipe de T3, plus nombreux que le nôtre, sur des motos plus diverses.
Et nous avons la chance de pouvoir assister à un spectacle peu commun, une partie de Kokou Bourou, la version kirghize du polo. Elle ressemble au Bouzkashi que l’on trouve dans des pays voisins.
En gros, il y a deux équipes à cheval qui se disputent la possession non pas d’une balle, mais d’un animal mort. Dans le bouzkashi, c’est une chèvre qui a été vidée de ses entrailles. Ici, il s’agit d’un mouton décapité mais sinon intact!
Une des deux équipes est composée de gens du coin, l’autre, baptisée «Dostouk» (amitié) vient de plus loin et a pas mal d’expérience. Avant la partie proprement dite, on nous régale d’explications sur les coutumes des gens ici, notamment celle qui veut (encore aujourd’hui) qu’un amoureux doive kidnapper (à cheval) la fille qu’il pense être sa promise, pour autant que cette dernière, qui est souvent tout aussi compétente que lui sur un cheval, veuille bien se laisser faire.
Les cavaliers font aussi une démonstration d’habilité en allant «cueillir» avec la main des billets de la monnaie nationale sur la pelouse, en plein galop. C’est digne des acrobaties de Marc Marquez sur une piste de Grand Prix! Pour ce genre de démonstration, il faut payer (pas très cher). Les nomades qui passent ici leur été dépendent en partie des revenus du tourisme, et leurs coutumes intéressent beaucoup les touristes, justement.
Tous ceux qui participent au jeu portent des cravaches, et le Kokou Bourou est vraiment très physique, surtout à ces altitudes. On a le droit de bloquer un cavalier de l’équipe adverse avec son propre cheval, ce qui donne lieu à des mêlées sauvages. On peine à comprendre comment tout le monde fait pour rester sur ses pattes (les chevaux) et en selle (les cavaliers).
Il est bien sûr aussi permis d’arracher le mouton à l’adversaire. Je vous laisse imaginer ce que cela peut donner comme scènes. Pour couronner le tout, un des chiens du campement, manifestement pas tout bien dans sa petite tête de canidé des montagnes, veut absolument courir entre les concurrents. Il échappe de justesse à plusieurs coups de sabots.
Un point est accordé quand on réussit à lancer l’animal mort au centre d’un gros pneu posé sur le sol. L’équipe invitée l’emportera, mais les locaux sauveront leur honneur en marquant tout de même quelques buts.
Les membres de l’autre groupe T3 sont arrivés, sur ces entrefaites, et eux ont droit au sauna, parce que nous avons averti la cheffe du campement.
Pour certains d’entre nous, cette journée de repos est l’occasion de faire un peu de mécanique. Ou plus exactement, de l’entretien de nos motos. C’est Arnaud qui s’en charge, pour lui cela fait partie de sa mission. Et il en profite pour réparer le système de freinage de la DesertX de Léo – qui ne pourra momentanément plus embarquer de passager (plutôt de passagère, connaissant Léo).
Le même Arnaud est rejoint aujourd’hui par les guides de l’autre groupe, qui sont des recrues plus récentes. Ils proposent d’aller gravir (à moto) ensemble la colline qui surplombe le lac. Le soleil est à nouveau pleinement là, et la vue doit être magnifique depuis là-haut. Ce que confirmeront les photos.
La vue est plongeante sur l’étendue de ce vaste lac qui fait office de miroir pour les montagnes et les nuages de toutes les formes.
En bas, les campements ne sont plus que de petites taches blanches dans l’immensité verte de la prairie. Le ciel varie et régale de cent mille nuances de bleu, de blanc, de gris et de jaune, quand le soleil s’en mêle.
Pour ma part, je reste en bas, parce que j’avoue que je n’ai pas très envie de ré-enfiler tous mes habits de protection. C’est mon côté flemmard de vieil imam circoncis – je déconne.
La soirée finit tard, par un contest de chants entre nous, les touristes francophones, et des touristes kirghizes assis une tablée plus loin dans la yourte réservée pour les repas.
Rustam veut nous aider et se lance dans une interprétation désaccordée d’une célèbre chanson de Joe Dassin. J’ai tout à coup l’impression d’entendre ma chère et tendre, fan du chanteur franco-américain! Mais il réussit à chanter encore plus faux qu’elle (Daniela, pas taper, je t’aime).
Le lendemain, c’est déjà l’avant-dernier jour de notre aventure. Nous reprenons la piste par laquelle nous sommes venus à Son Koul. Elle est presque sèche. Nous obliquons à gauche tout au bout et prenons la direction du nord. Un nouveau col (Kalmak, 3400 m) et une nouvelle piste nous ouvrent leurs bras.
Je suscite apparemment l’intérêt de plusieurs petits kirghizes des campements le long de cette piste. Ils accourent et me tendent la main, pour m’inciter à leur en taper cinq au passage. Il faut bien ralentir, pour éviter de blesser qui que ce soit. Et il faut aussi avoir l’épaule bien accrochée, parce que la claque de main qu’ils me donnent est pour le moins vigoureuse!
La plupart du temps, ce sont des garçons qui se livrent à ce petit jeu espiègle. Mais il y a aussi des fillettes. Et elles sont parfois un peu plus timides. Mais comme elles ont aussi apparemment envie d’entrer en contact, je m’arrête quand je peux, pour leur serrer la main. D’autres sont plus hardies et ont autant de force que leurs camarades masculins.
La montée du Kalmak Ashuu (on le rappelle, Ashuu veut dire col) est douce et progressive quand on vient du sud. Et on a derrière soi pendant longtemps une belle vue sur le lac. La piste est facile, sinueuse et large. Au sommet, il fait un peu froid, et nous nous empressons de redescendre car nous redoutons une averse – qui ne viendra finalement pas.
Le retour sur l’asphalte nous emmène toujours plus au nord, et nous aboutissons dans la petite ville de Kochkor. Elle est réputée, entre autres, pour son artisanat.
Nous ne sommes pas loin dans cette région de la province chinoise du Xinjiang, dans laquelle tente toujours de vivre une minorité (à l’échelle du pays) musulmane. Nombre d’entre eux ont traversé la frontière pour s’établir au Kirghizistan, et ils ont apporté avec eux des manières de confectionner des tapis ancestrales, en utilisant notamment la soie.
Pour le présent, après un repas kirghize (et donc digne de ce nom), nous avons droit à une démonstration de confection de tapis en laine par un groupe de femmes aidé d’un homme.
Le moment-clé, une fois que le motif est « posé » sur le fond, est celui où l’on arrose le tapis d’eau tout en le comprimant fortement. Cela suffit pour « imprimer » le motif de manière définitive. Encore faut-il qu’il ait été posé correctement, et c’est là le savoir-faire clé de ces femmes.
La démonstration est accompagnée d’un petit concert au , un instrument traditionnel kirghize, par une jeune fille en habit de cérémonie qui ne doit pas avoir plus de 13 ans. Mais qui est déjà une virtuose!
Tandis que la jeune fille en question ressort son smartphone de son sac d’école pour pianoter avec ses copines (j’imagine), la démonstration se conclut par une vente à l’impromptu de différents foulards, sacs, pochettes, coussins. Je loupe un magnifique foulard bleu, qui finit dans les bagages de la chère et tendre de Séb. C’est la vie.
Nous avons encore un peu de route aujourd’hui. Direction le nord. Nous allons passer à proximité, mais pas vraiment à côté, du grand lac Issik Koul. Tout le monde nous l’affirme: après le lac Titicaca (en Amérique du Sud), c’est le plus grand lac de montagne au monde. Et aussi un lieu de villégiature au Kirghizistan… mais dans l’immédiat nous voyons seulement de belles montagnes pas trop hautes avec une belle route bien large. Donc gaz!
Nous devons arriver dans le village de Shabdan, sis dans une vallée au coeur du parc national Chong Kemin. Nous n’aurons pas le temps d’aller y faire des balades à cheval ni de descendre des rivières en kayak, mais par contre nous allons dormir dans une « Eco Lodge »!
Cet hôtel d’un genre un peu nouveau dans ce pays répond au nom d’ « Ashu Guesthouse ». Elle se distingue par l’emploi de matériaux recyclés et en grande partie naturels (bois et feutre, notamment), et par les ingrédients locaux servis par sa cuisine. Et c’est le premier endroit où l’on nous autorise à entre dans le bâtiment avec nos chaussures – pas avec nos bottes de moto. Il faut par contre les enlever avant d’entrer dans les chambres, ce qui est plus que normal.
Il y a aussi une yourte comme lieu de rencontre, qui est entourée de sculptures tomables, les Bal-Bal (voir notre premier article). Et une belle piscine doublée d’un sauna et d’un hammam, à l’entrée payante. Nous choisissons de nous en passer, parce que la flemme, c’est contagieux … mais le restaurant est sympathique, la cuisine est bonne, et nous faisons une nouvelle rencontre totalement improbable.
Un citoyen kirghize vivant à Pully (dans le canton de Vaud, oui, en Suisse) est en vacances ici avec son épouse et leurs deux enfants. Lui est – notamment – un athlète paralympique. Mais il s’est disloqué l’épaule et ne pourra par conséquent pas prendre part aux JO de Paris en 2024. Nous allons peut-être nous revoir en Suisse, si sa vie apparemment trépidante quand il n’est pas en vacances lui en laisse le loisir!
Le lendemain, c’est déjà notre dernier jour dans ce pays. Côté route, ce sera moins pectaculaire. Il faut juste revenir à Bishkek, en longeant en un endroit la frontière kazakhe, et en négociant une circulation qui devient progressivement de plus en plus dense. Mais ce n’est pas comme à Oezgen, il y a de la place sur les artères de la capitale.
Avant d’y arriver, nous faisons un détour que l’on qualifiera de culturel. Nous allons découvrir ce qui reste de la cité de Balasagoun, un nom d’origine persane.
Ce fut un relais commercial et militaire important sur les routes de la Soie. Aujourd’hui, on n’y voit pour ainsi dire plus que la tour de Bourana, un ancien minaret diablement haut (25 mètres=, qui a pourtant perdu de sa hauteur à la suite d’un tremblement de terre – il mesurait plus de 40 mètres!
Juste à côté, un petit musée archéologique et historique fort bien doté raconte plein de choses intéressantes. Nous avons droit à une visite guidée traduite par Rustam.
Mais un souci occupe le fond de mon esprit. Maintenant que nous sommes le dernier jour de notre voyage, cela signifie que nous devrions prendre l’avion le lendemain pour rentrer en Suisse. Or mon billet d’avion, et celui de Charles, ont une date un jour plus tard…
Nous les avons réservés à un moment où tout ce voyage était décalé d’un jour par rapport aux dates actuelles. Il nous faut donc soit prendre une nuit d’hôtel supplémentaire à Bishkek, soit prendre un nouveau vol un jour plus tôt. L’ami Charles, c’est lui qui avait fait la réservation d’originre, réussit à changer son billet via son smartphone. Mais pas moi.
J’appelle Rustam à l’aide, car il y a un numéro de téléphone indiqué. Il fait de nombreuses tentatives, qui aboutissent invariablement sur un message d’attente, même quand il peut parler à un être humain authentique et pas à un enregistrement. Certaines choses sont décidément universelles.
Notre retour dans la capitale s’accompagnera d’un repas de roi dans un établissement réputé pour ses brochettes. Elles sont empalées sur des piques qui seraient dignes de figurer dans une version gastronomique de l’histoire du conte Vlad Tespes (alias Dracula, alias l’empaleur).
Avant de gagner la table, je consacre quelques secondes à une femme kirghize pas très traditionnellement habillée qui veut se prendre en photo avec moi devant ma moto. Instagram? Ici aussi?
En fin d’après-midi, nous devons aller conduire nos motos dans la zone douanière, à une dizaine de kilomètres du centre. Et avant cela, Rustam, toujours prêt à aider, m’accompagne en taxi à l’agence Turkish Airlines de Bishkek, gardée par un uniformé qui semble très compétent. Parce qu’il a un grand chapeau rond, comme un militaire. Mais l’agente de voyage, elle, trouve immédiatement une solution à mon problème. Je peux embarquer à bord du vol qui part de Bishkek le lendemain, peu après trois heures du matin.
Les motos une fois remisées, les bagages préparés (au maximum) et quelques emplettes faites dans le centre commercial attenant au Janaat (l’hôtel où nous avions passé notre première nuit dans ce pays), nous avons encore une tradition incontournable à honorer.
Nos hôtes ont prévu un repas dans un restaurant, en terrasse. Et avec de l’alcool. Nous étions plus ou moins censés aller festoyer au « Peppers Club », un club de motards, selon Arnaud. Mais il est fermé aujourd’hui. Nous allons dans un autre établissement, peut-être un peu moins pittoresque.
Il y aura de nombreux toasts, envoyés au Gin Tonic ou au Rhum Coca. La fin de soirée sera un peu délirante. Et le réveil en pleine nuit difficile. Nous avions le choix de rester une nuit de plus, mais la nostalgie de la famille, pour ma part, s’était faite sentir.
Je ne vais pas me hasarder à essayer de reproduire les paroles que j’ai prononcées lors de cette dernière soirée, sincères mais un peu grandiloquentes et un rien embrouillées par le taux de gin dans mon cerveau. Ce voyage au Kirghizistan a été une bonne découverte. Une découverte d’un pays, de paysages – et quels paysages! – d’une culture, subtilement différente de la nôtre, mais tout de même assez proche pour que des ponts puissent s’établir, même si la barrière linguistique était grande.
J’ai apprécié la manière dont les habitants de ce pays étaient ouverts à faire notre connaissance, à nous demander d’où nous venions, à nous venir en aide lorsque c’était nécessaire ou utile, à la manière spontanée qu’ils ont tous et toutes eu de nous offrir l’hospitalité, même la plus simple.
Vous l’aurez compris, T3 Expérience, Arnaud, ses collaborateurs et les personnes auxquelles il fait appel, sont de vrais pros du voyage organisé. Mais cela n’a rien enlevé au côté aventure de ce trajet de douze jours au Kirghizistan, bien au contraire.
Appareil photo « intercepté » par les douanes biélorusses
Il y aura d’ailleurs encore des développements pas forcément attendus bien des semaines plus tard, lors du voyage retour des motos dans le camion. A la frontière entre la Biélorussie et le territoire européen, les douaniers biélorusses ont décidé de se livrer à une inspection complète du véhicule et de son chargement.
Les chaussettes sales et les vêtements de moto ne semblent pas avoir éveillé leur intérêt, puisqu’ils ont fini par revenir avec les motos en Suisse. L’appareil photo laissé par Séb, par contre, a été qualifié de « matériel journalistique non déclaré ». Il a été confisqué et consigné, et il va falloir payer pour le récupérer. Cette aventure-là est toujours en cours – on ne sait pas si l’appareil va être récupéré. Il s’agit vraiment de malchance.
« On a passé cette douane des centaines de fois de cette manière, à l’aller et au retour, commente Arnaud. Il est rare qu’ils fassent une inspection. Et jusqu’ici, quand ils le faisaient, ils ne s’intéressaient pas à ce genre d’objet. J’ai eu le cas de médicaments contre le mal de tête qu’ils ont voulu analyser, sous prétexte que ça pouvait être de la drogue. Et ils est arrivé que des sacs de couchage disparaissent. Mais pas ça. »
La guerre en Ukraine, l’autoritarisme en Russie et son pendant inévitable, la corruption, ainsi que les révoltes en Biélorussie et leur répression, tout cela a semble-t-il eu des répercussions sur les personnes qui sont chargées des contrôles aux frontières. Cela dit, le camion, nanti de plaques d’immatriculation ouzbèkes, est passé, avec les motos, tant à l’aller que lorsqu’il est revenu du Kirghizistan. Et il l’a même fait plusieurs fois durant cet été 2023, à chaque fois sans problème. Donc en ne laissant ni médicament, ni appareil photo sur la moto, ça doit passer sans encombre.
Voici encore pour le plaisir quelques photos de ce voyage.
T3 Expérience propose aussi d’autres voyages en Asie centrale, et, en alternance une année sur deux, aussi en Amérique du Sud et en Afrique australe. Arnaud a encore créé une nouvelle marque sous cette bannière, baptisée 3 Exp: des voyages plus abordables encore, avec des motos de location (notamment des CFMOTO 800 MT).
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