Sur la route du MotorLand, Matthieu Juttens réalise son rêve d’enduro
En route pour nous faire vivre le Grand Prix du MotorLand d’Aragon, le journaliste-commentateur de la RTS, a profité d’un jour de congé pour se poser près de Barcelone. En compagnie d’un guide, il s’est éclaté lors d’une superbe journée d’enduro. Matthieu nous livre le récit de sa journée au paradis.
Une journée au paradis, par Matthieu Juttens.
Il y a de la poussière, mais pas de fech-fech. Il fait chaud, mais c’est tenable. Il y a des montagnes, mais pas d’habitations. Tout est silencieux. Seul le monocylindre 4 temps s’exprime. Il nous murmure un songe d’une journée d’été. Une goutte coule sur ma joue. Est-ce de la transpiration ou une larme de bonheur ? Je l’ignore encore, mais j’aimerais que cette journée soit sans fin aux confins de Barcelone. Rêvons nos rêves… Je m’imagine sur le Dakar. Renaud chantait à ce propos: «Cinq cents connards sur la ligne de départ, cinq cents blaireaux sur leurs motos». J’aimerais lui dire que le Dakar, c’est bien plus que ça et qu’il fait fausse route (une erreur de road-book à Paris, je pense). La première fois, Jean-François Dunac s’est levé trop tard pour partir à l’heure. On ne compte plus ces histoires, ces mythes, ces héros et ces légendes qui s’écrivent dans le sable du Pérou, du Sénégal ou de je ne sais où.
Cette épreuve, malgré son changement de continent, m’inspire comme Alain Padou. Il est Belge (je suis né à Bruxelles), il a commencé la moto à 35 ans (j’ai bientôt cet âge). Il a terminé 22e du général de son premier Dakar. J’ai envie de faire comme lui. Comme cet homme. Mais aussi comme cette femme, Nicole Maitrot, qui perd la selle de sa Honda XLS 125 et qui continue debout sur les repose- pieds sur plus de 350 km, tout cela me donne l’envie de croire que c’est possible. On dit que les chats ont sept vies. Je me donne sept ans pour m’inscrire à mon premier rallye-raid. J’aurai 40 printemps et j’aimerais me sentir comme Philippe Joineau à ses printemps. Il passe son permis de conduire 15 jours avant de prendre le départ du Dakar. Il perd en route son road-book et sa boussole. Moi, pour tenir le cap, je m’entraîne gentiment mais sûrement. Ma dernière idée ? Profiter d’un jour de congé avant le GP d’Aragon pour rouler avec un guide dans les environs de Barcelone. Sur Internet je contacte motostrailadventure.com. Le rendez-vous est fixé. Le rêve peut commencer.
Jeudi, 10h15. Le hall des arrivées de l’aéroport de Barcelone affiche complet.
Le seul qui manque à l’appel, c’est Toni. Dring… Dring…
«Holà, es Matthieu. Yo so (je suis) terminal C, et tu ?»
«Holà ! En el aparcamiento (au parking). Espera (attend) 5 minutos»
«Vale» (bien en français; aucune référence au célèbre numéro 46)
Voilà dix secondes de notre conversation téléphonique … mais en réalité, vous ajoutez cinquante secondes de plus. On partage la même passion, pas la même langue. Toni, mon guide, ne parle qu’espagnol. Moi pas, ou très peu, grâce à mes quelques voyages dans cette région et avec l’aide de Christel, mon amie, restée au pays. J’aime l’Espagne, alors je m’adapte et lui parle bien avec les mains.
Aujourd’hui, «hoy», j’ai congé. Mon Africa Twin est restée à l’aéroport de Genève. Le programme du jour ; du off-road sur une Suzuki DRZ 400 en Catalogne. Nous sommes à 3h du circuit d’Aragon où j’irai demain pour le GP (à suivre en direct sur RTS 2). Le moteur de sa jeep est branché. Moi, je peux déconnecter. Je sens déjà ce goût de liberté. C’est celui que je ressens à chaque fois que je roule. Ce sentiment est exacerbé quand je me trouve à l’étranger. Et, en off road, c’est encore plus perceptible. La plénitude est en moi et guide mes pas (ou mes roues, c’est selon). Le prix de cette liberté ? 165 euros la journée. Toni vient me chercher à l’aéroport, me véhicule avec valises jusqu’à sa base, m’équipe de la tête aux pieds, me prête une moto, paie le plein d’essence, finance l’assurance et le repas de midi. Son travail de guide est aussi compris dans le prix, tout comme le transfert de sa base à mon hôtel ce soir. On dit que la liberté a un prix, je trouve celui-ci (très) correct.
Après vingt minutes de route depuis l’aéroport, je réalise que Toni travaille depuis chez lui. C’est sa base. Son épouse gère la comptabilité. Ils habitent au numéro 46… Aucune référence à Rossi ; il n’aime pas la motogp parce que les pilotes « tournent en rond ». Il est fan d’enduro et du Dakar. Il connait Marc Coma et Nani Roma. Moi qui ai suivi à la télévision les exploits de ces deux champions, je suis ravi. Le Dakar n’est pas si loin que ça… Il y a d’ailleurs un poster dédicacé à l’entrée. Les motos de Toni sont dans le garage. L’équipement est quelque part dans la maison. C’est petit, mais chaleureux, cela me plaît. J’aime l’aventure et le côté routard. Niveau vêtement, heureusement, le ridicule ne tue pas. Entre une moto jaune, des bottes noires et un haut rouge, je ne ressemble à rien. C’est Arnaud Tonus, via Instagram, qui me le fait remarquer. La première chose qu’on apprend en faisant du motocross, c’est le «style». J’aurais dû y penser. Mais, M ‘ Taich El Fodil, sur le Dakar, avait une combinaison et une moto peinte comme un zèbre, alors tant pis et sorry Marc Ristori !
Il est onze heures. Moteur. La Suz – pas l’apéritif – mais cette 400cc est plaisante. Cette version me semble vieillissante. Le frein arrière ne fonctionne presque pas. Heureusement, l’avant est rassurant. Après quelques kilomètres, c’est parti pour du off road comme j’en voulais, comme j’en rêvais. Après un joli village typique de la région, on attaque par une montée très raide. Il y a des ornières et des cailloux imposants. Ça passe pour lui. Pour moi … aussi. En haut, Toni me dit que le plus dur est passé. On ne roule que les deux (je vous ai parlé de ce sentiment de liberté, non?), on continue. Bientôt le premier arrêt au Castillo de Gelida. La ruine de ce château est majestueuse. Le point de vue avant d’arriver grandiose.
On reprend la route. Le chemin entre terre et gravier monte et descend, sans cesse. On dirait un yoyo. Ensuite, c’est le retour à la civilisation. Et quelle surprise ! On traverse le village de Piera. C’est celui de Toni Bou (record du nombre de titres mondiaux en moto). Une légende. Arrêt photo obligatoire. L’arrêt en plein milieu du rond-point, pas réglementaire, mais quand on vit un rêve, pourquoi se réveiller ?! Clic, clac (c’est une image, l’Iphone ne fait pas de bruit en mode avion). Moi, je suis en mode enduro et je repars. Midi est passé depuis longtemps et j’ai faim. Très faim. Le petit déjeuner à 6h du matin est loin. Mais le décor est trop joli pour qu’on s’arrête maintenant. Et, Toni (il doit y avoir une référence à Toni Bou) a prévu une pause repas entre 14h et 15h. Et oui, on est en pleine pampa ! On ne décide pas comme ça. On s’adapte. C’est mon Dakar à moi. On ira dans une auberge-restaurant qui accueille les marcheurs de Saint-Jacques-de-Compostelle. Mais l’heure dépend de notre rythme et selon lui on avance (très) bien. Cool, un team va peut-être me repérer.
Pour y aller, c’est une balade qui se fait à un rythme tranquille. Presque trop accessible. Je roule souvent sur le troisième rapport à 60 km/h. J’aimerais rouler plus vite parce que j’ai l’impression d’être dans une spéciale européenne d’un rallye-raid. Il y a ce décor, le fait que nous roulons seuls, la chaleur (bien plus de 30 degrés) et le fait de ne rien voir à l’horizon. Bref, je profite de la Sierra de Rubio dans toute sa splendeur. C’est beau. Je me mets à chanter dans ma tête « quand t’es dans le désert » de Jean-Patrick Capdevielle. Je pense à Hugo Lopes et Nicolas Monnin, les copains qui, eux, ont le niveau pour faire un vrai Dakar. Moi, j’ai failli perdre l’avant deux ou trois fois, fait un ou deux petits sauts et je ne suis pas tombé. C’est déjà ça. Le principal c’est d’arriver à Dakar. Euh, pardon, chez Toni.
Ici, ce n’est pas le Pérou. C’est l’auberge pour le repas de midi ou on mange finalement à quatorze heures. Le menu – copieux – est excellent. J’ai juste une interrogation sur le vin. Quand Toni me demande en espagnol si je veux de l’eau gazeuse citronnée (alors que j’ai déjà une «cervezza», une bouteille d’eau plate et du rouge) je ne comprends pas très bien. Mais, j’ai soif et je réponds ; «si, si». Problème, il verse volontairement le jus citronné dans mon verre de rouge, pourtant bien rempli. Le mélange est douteux. Mais, par cette chaleur, je peux boire tout ce qui a le mérite d’être glacé. L’addition est réglée et a l’avantage de ne pas être salée.
On peut y aller. Ça tombe bien, on se rapproche de la montagne Montserrat. Elle est très connue des Catalans. Très belle aussi. La pierre donne une couleur ocre. Le contraste est étonnant. Saisissant. Dommage, la photo ne donne rien de ces impressions même en utilisant les filtres des réseaux – dit asociaux (référence à Jean-Claude Schertenleib, mon ami qui m’attend demain en salle de presse pour commenter le Grand Prix). Finalement, je réalise que c’est une bonne chose, ne faut-il pas savourer l’instant présent ? Pourquoi regarder son appareil photo alors qu’on a un tel spectacle sur 360 degrés ? Je me pose beaucoup de questions, mais il n’y a qu’une seule affirmation : chaque fois que je voyage en moto à l’étranger, j’ai envie/besoin de philosopher. C’était pareil lorsque j’ai parcouru 10 pays en 10 jours avec mon Africa Twin. Est-ce cela la liberté dont je vous ai parlé plus haut ?
Bon, je mets mon cerveau au point mort et je (re)passe la première pour finir un trajet d’un peu moins de 200 km. Le sentier est parfois roulant. Parfois plus technique. La dernière portion ressemble à l’Amérique du Sud, selon Toni. Y-a-t-il été ? Je n’ai pas su lui demander. Mais j’ai compris qu’il disait qu’on est comme en pleine Amazonie. Pour aller dans son sens, on longe un cours d’eau, sur un chemin qui nécessite de se baisser pour éviter les branches et de garder de la vitesse pour ne pas rester embourbé. Aucun souci pour nous deux. Tant mieux. Malheureusement, toute bonne chose a une fin et notre voyage s’achève. Il doit être 17 heures. Je ne sais pas, je ne sais plus. L’important n’est pas là. Il est dans cet «Ailleurs Land» que chantait Florent Pagny.
Comme promis, après s’être changé, Toni m’amène à mon hôtel à une vingtaine de minutes. Demain, il reviendra me chercher pour me conduire à l’aéroport à ses frais pour m’éviter 30 euros de taxi. Il n’était pas obligé. C’est qu’il a peut-être apprécié que j’offre la tournée. Toni n’a pas beaucoup de clients en cette période, alors il est disponible. Et, sa gentillesse fait le reste. Même si on ne parle pas la même langue, on a le même sourire au moment de se quitter. Je suis fatigué, mais heureux. Lui aussi, je crois. Je me sens bien dans cette région. En Catalogne, je pense avoir trouvé mon coin de paradis. Je ne suis pas un ange, ni un dieu de la moto, mais j’aime ce jardin d’Éden. Si vous me cherchez, vous savez où me trouver…
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