La Ducati Multistrada adopte un « multi »-moteur
Le modèle touring phare de la marque italienne inaugure un système révolutionnaire, plus puissant, plus coupleux, moins polluant et plus économe.
Il y a deux manières de faire pour qu’une moto soit capable de tout faire. Soit on trouve le meilleur compromis (entre rigueur et confort, performance et régularité…), soit on fait en sorte que la bécane devienne une sorte de caméléon mécanique et s’adapte d’elle même aux changements de son environnement. C’est cette seconde voie qui caractérise dès le départ la Ducati Multistrada 1200, l’une des premières à avoir proposé (en 2012) des suspensions semi-automatiques, dont la rigidité évolue en fonction des conditions de roulement et des désirs du pilote. Aujourd’hui, son constructeur vient de faire un pas de plus dans cette direction en adoptant la même philosophie pour le comportement du moteur.
Nous avons pu tester pendant toute une journée la Multistrada 1200 2015 sur l’île de Lanzarote, en plein océan Atlantique. Et force est de constater que le système DVT, la nouveauté essentielle introduite dans le fonctionnement de son gros bicylindre en L, hisse cette moto un cran plus haut sur l’échelle de la polyvalence.
Le DVT signifie Desmodromic Valve Timing. Desmodromic en référence à la manière dont sont ouvertes et fermées les valves sur les moteurs Ducati, grâce à des pièces sans ressort, une invention brevetée il y a de nombreuses années et qui joue ici un rôle en facilitant la nouveauté introduite par les ingénieurs de Borgo Panigale.
Cette nouveauté tient en une phasature variable («Variable Timing» en english), « timing » faisant référence aux degrés de rotation de l’arbre à came durant lesquels une valve est ouverte ou fermée, qui d’habitude est fixe sur un deux-roues. Et qui sur ce moteur est variable, tant pour les valves d’admission du mélange air-essence dans le cylindre, que pour les valves d’échappement des gaz après combustion. Il n’existe sur le marché aucun système comparable, même si certaines Kawasaki (1400 GTR) ou Honda (système V-Tec actuel sur les VFR 800) adoptent des systèmes plus primitifs, utilisant des variations à l’admission, ou à l’échappement, selon les régimes de rotation du moteur.
Un moteur plein partout, plus économe, et moins polluant!
En clair, sur la route, et pour la Multistrada, cela donne un plus de puissance et de couple à tous les régimes de rotation du moteur, grâce au travail de mise au point conséquent effectué par les ingénieurs en charge du développement du moteur.
On a alors du costaud à bas régime, sans sacrifier les performances tout en haut du compte-tour. Et il y a plus de progressivité dans l’arrivée de ce couple et de cette puissance, avec un véhicule qui consomme en moyenne 8% de moins en essence que la précédente Multistrada, nous dit Ducati, tout en polluant moins (déjà conforme à la norme Euro 4). Le tout sans raccourcir les intervalles de maintenance, qui sont tous les 15000 km pour les séances de routine, et 30000 km pour l’ajustement des valves.
Le parcours du test incluait des passages dans des villages, sur de petites routes de montagne ou sur des grands axes de plaine, sur des revêtements plus ou moins dégradés ou salis. Pas une seule fois la moto ne s’est désunie ou n’a glissé, malgré un bon tempo et une franche utilisation de la poignée des gaz. Signe que la motricité, soit la capacité de transmettre la force brute du moteur à la roue arrière en accord avec les impulsions du pilote, est excellente. Et l’un des facteurs favorisant ce bon accord est sans aucun doute la rondeur et la régularité du propulseur. Un peu le genre de sensation que l’on éprouve sur un tricylindre façon Triumph ou Yamaha.
Mais ici, sur le gros bicylindre made in Borgo Panigale, cette sensation s’accompagne du coup de pied au cul (pardonnez l’expression) propre à ce genre d’architecture moteur. Il donne en fait du couple, soit de la capacité à accélérer, fort et dans presque toutes les situations. Ca commence dès les bas régimes, et le nouvel anticabrage Ducati (Ducati Wheelie Control, ou DWC) permet des départs canon pour une moto de cet acabit. Si l’on fait monter le graphe à barres digital du compte-tour au-dessus de 4500-5000 tr/minute, il y a aussi une belle allonge et un engin qui devient rageur près de la zone rouge, placée aux alentour de 10500 tr/min. Pas mal pour un « gros » bicylindre, censé hoqueter en bas et s’essouffler en haut. Ce moteur a particulièrement plu à un hôte de marque durant cette présentation presse, le champion du monde Super Bike (2011) Carlos Checa (lire ses impressions plus bas).
Nettement plus souple à bas régime
Et malgré cela, ce bicylindre est étonnamment souple. Il reprend en sixième à 2500 tr/min, sans (trop) protester. Des qualités que l’ancienne Multistrada n’avait pas, ou pas à ce point.
Dans des enfilades de lacets serrés, on peut sans problème se « tromper » de rapport de vitesses. Dès qu’on tourne la poignée des gaz, en sortie de virage, ou même dans le virage, la « Multi » pousse avec force sur le bitume et vous catapulte littéralement à la prochaine courbe. C’est tant mieux, parce que la boîte de vitesses, correcte, connaît quelques faux points morts entre la cinquième et la quatrième. Un héritage propre à Ducati, peut-être accentué sur les motos de pré-série que nous avons pu monter. Vittorio Bozzoli, chef marketing et presse pour Ducati Suisse, précise que l’on peut remédier à ce défaut, s’il se manifeste, via un petit réglage chez un concessionnaire.
Un son Ducati
Qui plus est, malgré que ce moteur satisfasse aux exigences de la future norme anti-pollution Euro 4, le «son» Ducati reste. Il est organique, grave, liquide, et rugit quand on cravache la Multi, grâce à l’effet « aspiration », fort réussi, qui rappelle un peu l’Aprilia Caponord 1200, d’ailleurs (vade retro Piaggio-as). Voici un petit extrait, enregistré avec les moyens du bord.
Une fois passé l’effet du moteur, on se rend aussi compte que la Multistrada 2015, comme la 2014, est joueuse, rigoureuse, stable et agile. Oui, tout ça à la fois.
Agile en diable
L’empattement relativement long (1529 mm entre les centres des deux roues, inchangé par rapport à la version précédente), dû entre autres au mono-bras oscillant, assure une bonne tenue de cap. Le large guidon et la position de conduite debout, mais active, ainsi que la finesse de la moto et son poids contenu permettent eux des changements de trajectoire vifs pour un trail de cet acabit. Le freinage est précis et puissant.
Déjà, grâce à ces bons points, la précision directionnelle est excellente, et elle est aussi favorisée par une nouvelle race de pneus, les Pirelli Scorpion Trail II, qui durent plus longtemps, donnent une meilleure adhérence sur route mouillée, avec globalement une surface de contact optimisée, comme le montre ce dessin.
Mais la Multistrada 2015, comme sa devancière, vient à nous en deux déclinaisons, la « normale », qui possède des suspensions classiques entièrement réglables (la précharge arrière, qui doit varier selon la charge en bagages et en passager, s’ajuste sans outil). Et la S, qui utilise des suspensions électroniques (plus des disques de frein avant plus costauds, un écran couleur, un éclairage avant tout LED avec des phares pour les virages, et le système multimédia de Ducati).
Le cerveau de la « Multi » prend de l’angle
Ces suspensions électroniques profitent d’une dotation de base enrichie en aides à la conduite. En particulier, la nouvelle unité de mesure inertielle (IMU) Bosch est en mesure de « renseigner » les contrôleurs de la moto en roulant sur le degré de tangage et de roulis, sur l’accélération longitudinale ou verticale, ou même l’accélération transversale. Les mesures concernent donc cinq « dimensions », comme d’ailleurs sur la nouvelle version de l’hypersportive Ducati, la Panigale 1299. La sixième, soit le lacet, ou degré de rotation autour d’un axe vertical, présente sur l’IMU de la nouvelle Yamaha R1, est ici déduit par calcul sur la nouvelle Multistrada.
Sur ce montage, on voit les cinq dimensions.
Mais en clair, cela permet de bénéficier d’un ABS actif et efficace en virage, qui ne redresse pas la moto et évite les chutes après glissade latérale, ainsi que de réglages affinés des suspensions électroniques. Comme sur les grosses BMW de dernière génération (en option) ou sur les grosses enduros routières de KTM (la 1190 Adventure et la 1290 Super Adventure).
Enfin pour en terminer avec le chapitre électronique, les quatre modes de conduite prédéfinis, présents dès 2010, persistent tant sur la 1200 de base que sur la variante S. Ils sont nommés Touring, Sport, Urban (pour la ville) et Enduro. Ils sont reliés à des réglages particuliers de la réponse à la poignée des gaz, de l’ABS, de l’anticabrage (DWC), de l’antipatinage (DTC), des affichages (Display) et bien sûr, pour la S, des suspensions électroniques (DSS).
En résumé, le moteur est plus vif (direct) en Sport, et il est plus puissant (power) en Sport et Touring (qu’en Urban ou Enduro). Et l’ABS, le DWC et le DTC (plus le chiffre est grand, plus il intervient rapidement) sont le plus intrusifs en Urban (pour faire face aux pavés détrempés), le moins intrusif en Sport, avec Touring au milieu. L’ABS n’agit pas sur la roue arrière en Enduro, avec le DWC désactivé, et le DTC peu intrusif. De quoi laisser la moto déraper naturellement dans les virages des pistes non goudronnées. Voici un (grand) tableau pour vous y retrouver…
Le DSS permettait déjà dans sa première version (datant de 2012) de gommer les tassements à l’accélération et au freinage. Il intègre désormais les données fournies par l’IMU et se montre encore plus fin. La différence d’avec la 1200 « normale » est ainsi encore plus frappante lorsqu’on accélère fort au milieu d’un virage ou que l’on freine comme un malade en cours de courbe. La « Multi » S continue alors sa trajectoire avec un flegme plus que britannique, tandis que sa soeur moins bien dotée ne se désunit pas mais vous fait l’effet d’un cheval à bascule et a tendance à bouger un peu latéralement dans ses « rails ».
L’effet des suspensions électroniques de seconde génération est aussi net sur le confort, puisqu’elles préviennent les chocs qui surviennent quand on arrivée en butée, en haut comme en bas. Très utile quand on s’aventure hors des sentiers goudronnés. L’off-road sérieux n’est cependant pas conseillé, à notre avis, malgré les affirmations de Ducati, à moins de posséder de vraies aptitudes, en raison de roues d’un diamètre avant tout routier (17 pouces avant et arrière) et de débattements de suspensions (170 mm avant et arrière) qui peuvent s’avérer insuffisants en cas de franchissement important.
Des commandes très intuitives
Enfin, sans vouloir trop rallonger cet article, on mentionne au passage que les écrans, couleur (version S) ou pas (version normale) sont très lisibles, complet, et que l’accès aux menus et réglages de la moto est devenu un jeu d’enfant grâce à un nouveau groupe de boutons sur le guidon, nettement plus intuitifs que les anciens, et rétroéclairés pour la nuit. Il y a même un tempomat aussi facile d’emploi que celui d’une BMW R 1200 GS. Les seuls petits couacs tiennent à quelques petits et rares détails de finition (il faut les chercher), à la pédale de frein arrière (peu puissant), qui est située un peu bas, et au fait que l’arrière de la botte gauche interfère avec la béquille centrale (un accessoire) lorsqu’on se met sur la pointe des pieds pour la conduite sportive.
Bon, il y a aussi la peur de perdre son permis de conduire au guidon d’un tel fauve, et il y a aussi le prix, qui se situe plutôt vers le haut de l’échelle, même avec l’eurobonus en Suisse. Mais quand on a goûté au plaisir que procure la Multistrada, il est difficile d’y renoncer.
On se doit de préciser que la très exclusive Multistrada 1200 S D Air, la première moto de série où deux vestes (ou gilets) avec airbag sans fil sont intégrés à l’électronique de la machine (lire notre présentation), bénéficiera elle aussi de ces nouveautés, à un prix non encore communiqué pour la Suisse.
Par Jérôme Ducret, photos et images Milagro, Ducati, Jérôme Ducret, Aljesida (vidéo)
L’avis du champion Checa
L’Espagnol Carlos Checa n’est pas n’importe quel motard. Il a été champion du monde 2011 en catégorie Super Bike, sur une Ducati 1098 R, et sa carrière sportive, aujourd’hui terminée, s’étend sur des décennies. Il a gardé un lien particulier avec la marque italienne, et participe à certaines de leurs présentation. C’était le cas pour le lancement de la Multistrada 1200 DVT auprès de la presse internationale, sur l’île de Lanzarote.
Carlos ne s’est pas contenté d’apparaître à la conférence de presse dans l’Auditorio de Jameos del Agua,
il a apporté son casque et a enfourché une Multistrada rouge avec une paire de valises. Il avait déjà pu tester la bête en primeur à l’usine. Son commentaire (traduit de l’espanglais): « J’aime beaucoup cette moto, son moteur est rond. » Il paraît qu’il décrivait de manière similaire sa Super Bike.
Le lendemain, après quelques kilomètres, au moment de la pause photo, le même Carlos s’amusait déjà à exécuter des roues arrière avec sa « Multi » à valises. Et à la pause café, son commentaire était toujours le même. Il avait juste l’impression que la béquille latérale était un peu courte.
Encore un peu plus tard, sur une petite route en haut d’une falaise, Checa s’est essayé avec succès à une autre figure, la roue avant lors du freinage. Toujours avec les valises.
Et il s’est payé une ou deux tranches de dérapage sur un chemin plein de gravier. A son sourire, on sentait qu’il n’appréciait pas que la rondeur du moteur![/vc_column_text][vc_column_text]La démonstration en vidéo des nombreuses aptitudes de cette Multistrada. Ne manque que le circuit, mais Lanzarote n’est pas le Mugello…
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Fiche technique
Propulsion: Moteur bicylindre en L (V à 90 degrés), 1198,4 centimètres cubes, refroidi par liquide, double allumage, double ACT, valves desmodromiques DVT, injection. Alésage x course: 106 mm x 67,9 mm. Taux de compression de 12,5:1. Accélérateur électronique. Embrayage à glissement progressif, anti-dribble, multidisques en bain d’huile, six vitesses, transmission finale par chaîne.
Châssis et partie-cycle: Cadre en treillis d’acier, plaques en aluminium. Suspension avant: fourche télescopique inversée, diamètre 48 mm, entièrement réglable en précharge, compression et détente (avec outil dans la version de base, de manière semi-automatique dans la verison S de la Multistrada). Débattement roue AV: 170 mm. Suspension arrière: mono-bras oscillant en aluminium et mono-amortisseur réglable en précharge (avec pommeau manuel en version de base), détente et compression (de manière électronique semi-automatique dans la version S de la Multistrada). Débattement roue AR: 170 mm. Freins AV: Brembo monobloc, double disque, diamètre 320 mm (S: 330), étriers à 4 pistons, fixation radiale. Frein AR: Brembo, disque, diamètre 265 mm, étrier à deux pistons. Cornering ABS paramétrable et désinsérable.
Performance: Puissance maximale (modes Sport et Touring): 160 chevaux à 9500 tr/min. Couple maximal: 136 Nm à 7500 tr/min. Vitesse de pointe: plus de 200 km/h.
Roues et pneus: Roue avant en alliage léger, dimensions 3,50″ x 17″. Roue arrière idem, dimensions 6,00″ x 17″. Pneus Pirelli Scorpion Trail II. Dimensions AV: 120/70 R17, AR: 190/55 R17.
Fiche technique (suite)
Consommation: Réservoir de 20 litres d’essence. Conso annoncée: Autonomie théorique annoncée. Conso constatée durant l’essai: 6,2 l/100 km, à bonne allure. Autonomie théorique sur cette base: 322 km.
Dimensions et poids: Longueur hors tout: 2190 mm. Largeur hors tout: 1000 mm. Hauteur hors tout: 1497 mm (sommet du pare-brise en position haute). Pare-brise réglable sur + ou – 60 mm. Hauteur de selle: 825 – 845 mm. Empattement: 1529 mm. Poids à sec: 212 kilos. En ordre de marche: 235 kilos (avec réservoir plein à 90%). Répartition AV/AR: 50%/50%. Angle de chasse: 24 degrés. Chasse: 109 mm. Angle de braquage: 80 degrés.
Disponibilité, coloris, prix: Disponible dès fin mars. Multistrada 1200 disponible en rouge à 20390 francs (17990 francs avec eurobonus suisse). Multistrada 1200 S disponible en rouge, à 22990 francs (20190 francs avec eurobonus suisse) ou en blanc, à 23290 francs (20490 francs avec eurobonus suisse).
Accessoires: Pack Touring comprenant valises latérales rigides (58 litres en tout), béquille centrale et poignées chauffantes à trois niveaux. Pack Sport comprenant ligne d’échappement Termignoni, garde-boues en carbone, et réservoir de freins et d’embrayage anodisés. Pack Urban comprenant top-case de 48 litres et sacoche de réservoir semi-rigide avec hub USB à l’intérieur. Pack Enduro comprenant protections de flancs de moteur en acier, sabot moteur prolongé en aluminium, protège-radiateur, feux additionnels à LED, repose-pied off-road et platine de béquille latérale plus large. Tous ces accessoires peuvent être commandés séparément (pour plus cher). On peut encore commander une selle rabaissée (805-825 mm du sol), un GPS, et bien d’autres choses.