Interview Robin Mulhauser, 4ème pilote au YART pour la saison d’endurance 2022: « C’est une superbe opportunité pour moi! »
Les 24h du Mans, c’est ce week-end. ActuMoto.ch en a profité pour faire le point avec Robin Mulhauser. Sur sa carrière. Sur sa fin de contrat prématurée avec le team Moto Ain, malgré deux titres de Champion du monde en poche. Et sur son nouveau rôle de quatrième pilote au sein du prestigieux YART (Yamaha Austria Racing Team), pour la saison 2022.
Mercredi 13 avril, 14h49. Mon téléphone sonne. Au bout du fil, Robin Mulhauser, qui a trouvé un créneau dans une semaine ultra-chargée pour m’appeler, afin de réaliser une interview. Vingt-huit secondes plus tard, il raccroche. «J’ai une urgence, je te rappelle dans deux minutes!». Il en faudra 38. L’exemple est parfait pour illustrer l’effervescence qui règne sur le circuit Bugatti, à quelques jours du départ, entre démarches administratives et multiples problèmes à solutionner. A 15h27, c’est un Robin jovial, et détendu, qui me rappelle enfin. L’interview peut commencer.
Salut Robin, comment vas-tu ?
Je me sens bien, je suis tout motivé et hyper confiant. Je suis à l’aube d’un nouveau défi et je me réjouis de découvrir le monde de l’Endurance du côté professionnel.
Tout le monde ne te connaît pas forcément. En deux mots, peux-tu nous résumer ton parcours?
Bien sûr. Je suis dans ma 15ème ou 16ème saison de moto je crois? (NDLR: 16ème, Robin a débuté la compétition en 2007). J’ai été pilote en Superstock 600, puis en mondial Moto2 pendant trois ans, avec Dominique Aegerter et Tom Lüthi. Et j’ai une solide expérience en endurance, avec deux titres de Champion du monde en catégorie Superstock.
Je suis également Marketing manager pour la marque d’équipement iXS, en Suisse, et je fais du coaching sportif. Je suis une sorte de «pilote multi-casquettes» en fait (il rigole).
Ton année 2021 s’est mal terminée. Que s’est-il passé?
J’ai passé quatre années fantastiques chez Moto Ain. Mais avec l’arrivée de Randy de Puniet en 2021, lors du passage du team en catégorie «EWC», c’est un peu «parti en couilles», pour être franc. Ce n’est absolument pas de la faute de Randy, j’ai beaucoup de respect pour lui. Mais le management de l’équipe s’est clairement laissé dépasser et a très mal géré son arrivée dans le team. Avec Roberto (NDLR : Roberto Rolfo, son autre coéquipier à l’époque), on est passé d’un jour à l’autre du statut de pilotes à celui de simples éléments remplaçables. Il faut savoir qu’on n’a jamais été payés, qu’on devait assumer nous-même nos frais (déplacements, hôtels, etc) alors qu’on amenait des partenariats à hauteur de 20 à 30000 francs chacun pour aider l’équipe à fonctionner. On leur a aussi amené, tout de même, deux titres de champion du monde. Ce n’est pas rien!
Et puis il y a eu le Bol d’Or 2021, avec un podium avec la clé.
Justement. C’est le meilleur résultat de l’équipe (NDLR: lire notre compte-rendu). Sur le Bol d’Or, entre 22h et 5h, c’est uniquement Roberto et moi qui avons roulé. Sous la pluie.
Encore une fois, Randy n’y est pour rien, c’était une consigne du team-manager pour préserver le top-pilote de l’équipe. Après cette 2ème place, avec Roberto, on a demandé une prime. Et elle a été refusée. Si au final, les trois pilotes sont traités de la même manière, ça ne me dérange pas. C’est un travail d’équipe! Mais quand un seul des trois (NDLR : Randy de Puniet) touche une prime pour un podium, ce n’est pas normal. C’est difficile d’avoir un pilote dans le team qui est payé, et deux autres qui sont considérés comme négligeables. Donc on a décidé de partir. Pour nous, le team Moto Ain, c’était vraiment une famille. Et avoir l’impression de se faire trahir par sa famille, c’est une sensation bizarre. C’est vraiment la triste fin d’une belle histoire.
Pour autant, tu sembles avoir bien rebondi pour 2022.
C’est clair! La fin de l’année a vraiment été un moment charnière. J’ai eu 30 ans en novembre, je venais de passer 4 années dans le même team. Je me suis posé la question: est-ce que j’arrête? Est-ce que j’essaie de passer au niveau supérieur, dans une équipe officielle? Pour intégrer le YART, les pilotes font la queue. Il y a beaucoup de demandes et peu d’élus. Et j’ai été un petit peu chanceux sur ce coup-là. Après, il faut dire qu’au fil des ans, j’ai noué de bonnes relations avec les pilotes du team actuel. Mon expérience a sûrement joué un rôle. Et on a un sponsor en commun (NDLR : hostettler AG, qui importe notamment les marques Yamaha, iXS et Shoei en Suisse, et pour qui, on l’a dit, Robin travaille actuellement), ça a bien sûr pesé dans la balance. Et finalement, j’ai été accepté comme pilote de réserve, pour un contrat d’une saison.
Pour moi, c’est un bel aboutissement. Et en plus, sur une Yamaha. J’ai toujours dit: «J’ai le cœur bleu», parce que je ne me verrais pas rouler sur une autre moto. Et surtout, j’intègre une équipe professionnelle. Et ça, ça change tout. De la cuisine aux pilotes, c’est tous des pros. Tout le monde est payé. Je n’ai jamais été dans une équipe aussi pro de toute ma carrière. Même en Grand prix! C’est une superbe opportunité de voir cela une fois dans vie. Même en tant que quatrième pilote, c’est assez dingue!
Justement, être 4ème pilote, qu’est-ce que cela implique ?
Bon, c’est clair, tu roules moins. Mais pilote de réserve au YART par rapport à mon expérience chez Moto Ain, c’est comme de passer du karting à la F1. Je participe au développement de la moto, ainsi qu’à tous les essais. On a roulé à Almeria, en Espagne, cet hiver. J’ai fait les essais pré-Mans, il a deux semaines.
Par contre, cela veut dire que pour les courses, je suis là au cas où il y a un pépin. Ce que je ne souhaite vraiment pas. Mais une équipe professionnelle ne peut pas prendre le risque de se retrouver avec seulement deux pilotes en course. Donc si l’un des trois pilotes officiels a un problème – se blesse par exemple – c’est moi qui vais prendre le relais. Mais si tout se passe bien pour eux, je ne fais pas la course. C’est assez difficile en termes de préparation, parce que je dois être prêt, comme eux, mais sans savoir si je vais courir. Mentalement, c’est loin d’être évident. C’est nouveau pour moi, et il faut que j’intègre ces paramètres. Là, tu vois, c’est cool, j’ai l’impression d’être un peu en vacances, parce que je ne vais pas courir ce week-end. Mais ça peut venir d’un coup !
Concrètement, pendant ces 24 heures du Mans, quel sera ton programme?
En fait, il n’y a que sur les courses de 24h que je viens sur place. Pour les autres courses, de 8 ou 12h, je suis disponible avant l’épreuve, mais je ne me déplace que si on a vraiment besoin de moi sur place. Par exemple, en cas de COVID, ou si un pilote se blesse à l’entraînement. Dans de tels cas, je dois pouvoir être réactif et venir remplacer au plus vite. Mais pour les endurances sur 24 heures, comme ici au Mans, le pilote de réserve est là jusqu’au départ. Par contre, dès que le départ est lancé, je ne peux plus remplacer. S’il se passe quelque chose, ils doivent finir la course à deux, ou alors abandonner. Le quatrième pilote ne peut plus entrer en jeu à ce moment-là. C’est assez logique, car les règles doivent être les mêmes pour tout le monde.
Comment tu te sens sur la moto?
Franchement? Super bien! C’est la Yamaha R1 que je connais par cœur, avec ce moteur crossplane, très coupleux, qui donne cette sensation de pneu arrière dans la poignée de gaz. Vraiment, je l’adore.
Par contre, tous les composants sont différents. C’est vraiment ce qui se trouve de mieux sur le marché, voire qui n’existe pas sur le marché!
Par exemple?
Les pneus sont des pneus «Factory» de Bridgestone. Il n’y a que trois équipes en endurance qui les ont. L’électronique est gérée par Magneti Marelli. On a les meilleurs freins, les meilleures suspensions… C’est assez nouveau pour moi, ça change beaucoup de choses. Je n’ai pas autant roulé que les autres et je suis encore en train de m’adapter. Je me sens bien sur cette machine mais j’ai encore beaucoup à apprendre. Parce qu’elle se pilote comme la R1 que je connais, mais qu’elle est beaucoup plus pointue dans ses réglages. C’est la moto la plus aboutie que j’ai jamais pilotée! C’est juste un autre niveau! En fait, c’est comme une MotoGP d’endurance. Ce n’est pas tous les jours que tu as l’opportunité de rouler une moto aussi folle!
C’est une belle opportunité pour toi. Quel est ton objectif pour cette année?
Derrière le YART, il n’y a pas grand-chose. C’est vraiment le top du top. Mieux que ça, à part aller en MotoGP, je ne vois pas. Je ne me vois pas aller ailleurs, et surtout pas sur une autre marque. On verra comment les choses évoluent. Je ne me vois pas courir encore pendant mille ans. Mais s’il y a une opportunité, je la saisirai!
En attendant, il faut faire preuve d’humilité. Être 4ème pilote au YART, c’est nouveau pour moi, ça demande beaucoup d’investissement personnel, en temps, en énergie, en entraînement. Comme si j’étais pilote officiel, en somme. C’est beaucoup de travail pour rouler moins. C’est le revers de la médaille. Est-ce que je vais aimer ça? Est-ce qu’on me proposera autre chose dans l’équipe? Seul l’avenir peut nous le dire. Pour le moment, je profite de chaque seconde sur cette machine et dans ce team. Et c’est juste un rêve éveillé!
Au bout de cette interview de Robin, on ne sait pas encore si le Fribourgeois pilotera durant ces 24 heures du Mans. Mais il est, en tous les cas, ravi de faire partie de l’aventure. D’autres pilotes helvétiques, outre Robin Mulhauser, seront d’ailleurs de la partie ce week-end. Comme les frères Suchet (Sébastien et Valentin), qui rouleront en famille avec le team National Moto Honda (#55) et le vaudois David Chevalier, sur la Yamaha #121 du team Falcon Racing. Dans les box, il y aura aussi le sellier g’nevois Simon Dubouloz, qui officiera en temps que mécanicien pour le team F.C.C. TSR Honda France, vainqueur de la dernière édition des 24 heures du Mans. La course débute ce samedi, à 15h. Et elle promet d’être serrée !
Plus d’infos sur le site des 24 heures du Mans.